Travailler sans horaires, sans salaire, sans permis, et depuis parfois plus de vingt ans : c’est le calvaire à peine croyable de missionnaires catholiques qui, en France, ont décidé de mettre fin à cet enfer en portant plainte contre leur communauté.
Causette #69 juillet/Août 2016 – Antton Rouget
Maintes fois alertées, les autorités civiles et le Vatican ont, Dieu soit loué, fini par s’en inquiéter.
Le Code du travail ? Chez les Travailleuses missionnaires de l’Immaculée, le gros livre rouge n’a rien d’une référence sacrée. Depuis des années, cette communauté catholique qui recrute aux quatre coins du globe emploie des dizaines d’âmes charitables dans les restaurants L’Eau vive, la chaîne du groupe. Il en existe aujourd’hui au moins sept rien que sur le territoire français.
Leur mission, entre deux prières ? Cuisiner et servir gratuitement des clients qui, eux, paient plein pot.
Un labeur quotidien sans contrat, salaire ou papiers en règle (elles n’ont pas de carte de séjour professionnelle). Du pain bénit pour les adorateurs de Dieu… et du porte-monnaie !
Mais les beaux jours de ce système sont aujourd’hui comptés. Des ex-missionnaires ont décidé d’arpenter un nouveau chemin de croix : celui des tribunaux. À ce jour, six victimes ont déposé plainte et, par la même occasion, réveillé des autorités civiles et religieuses jusqu’ici somnolentes.
La Miviludes, mission interministérielle contre les mouvements sectaires, s’est sérieusement attelée au dossier. « Après trente ans d’inertie des pouvoirs publics, il faut que l’action publique s’enclenche », a annoncé son président, Serge Blisko, devant un parterre de victimes, le 16 avril dernier, au centre d’études œcuméniques Istina. Face à la polémique naissante, le Vatican a aussi fini par lancer sa propre enquête canonique. « Les travaux pour clarifier la situation ont débuté mi-2015 pour une fin prévue à la fin de l’année, précise le frère Klaus, délégué général des Grands Carmes en France, il faudra ensuite tirer les conclusions de tout cela. » …
Dans les restaurants de la communauté, les missionnaires triment pour régaler midi et soir des dizaines des clients. « On nous répète que notre travail acharné est une forme de prière. Nous chantons et sourions devant les clients pour donner une bonne image de notre engagement », raconte Martine*, une ex-missionnaire. Recrutée en 2001 dans une branche de la communauté en Afrique de l’Est, cette jeune fille de …19 ans à l’époque, pensait consacrer sa vie à la prière et avoir la chance de suivre des études en rejoignant les Travailleuses missionnaires.
Envoyée en France et en Europe de l’Est, de restaurant en restaurant, elle dit avoir vécu un enfer, « emportée par un rythme de travail très intense ». Pendant neuf ans, sa vie s’est ainsi résumée aux deux services quotidiennement assurés dans tous les établissements du groupe : le premier, pour le déjeuner, de 10 à 14 heures (mise en place et préparation comprises) et un second de 18 à 22 heures, parfois minuit. Rebelote le lendemain. Et ainsi de suite six jours par semaine. De très rares vacances pour souffler: « Je n’ai pu rentrer voir mes parents qu’une seule fois », déplore-t-elle.
Pas le temps de lire, de sortir, d’étudier ou – horreur! – de réfléchir au sens de son engagement. Même la prière est zappée ; « Nous étions toujours épuisées, alors nous nous endormions pendant la cérémonie de l’après-midi, entre les deux services. »
https://www.causette.fr/le-mag/lire-article/article-1533/esclaves-au-nom-de-dieu.html (extrait)
Du rêve spirituel à l’esclavage
01/06/2016 – Marie Claire – Par Pascale Tournier
« La prière et la messe étaient secondaires, on les sautait s’il le fallait. L’essentiel c’était de faire la cuisine, servir le client, sans oublier de chanter pour lui des Ave Maria. En boubou et avec le sourire, bien sûr. »
Marie, 41 ans, déroule ses quinze années d’ancienne travailleuse missionnaire (TM). « J’ai honte. Je me suis fait berner », soupire-t-elle. A l’adolescence, cette Burkinabée pensait embrasser une vie de religieuse instruite et en contact avec le monde. C’était ce que promettait la brochure colorée de la communauté spirituelle de la Famille missionnaire Donum Dei, qui n’a rien d’un ordre religieux. En réalité, de 1991 à 2006, Marie a été exploitée. En vraie esclave moderne.
Neuf ans après sa sortie de la communauté, en 2015, elle porte plainte contre X. Sans un centime perçu, ni de cotisations sociales versées, la jeune femme a trimé dans les nombreux foyers d’accueil et une vingtaine de restaurants L’Eau vive, que possèdent ou gèrent les TM, ouverts au tout-venant pour certains et aux pèlerins pour les autres dans des lieux de pèlerinage du monde entier, avec souvent l’accord de nombreux diocèses.
« Le premier restaurant a été ouvert à Toulon, en 1960. C’est devenu une vraie multinationale, qui recrute de nombreuses jeunes filles issues de familles modestes et de pays émergents. Elles seraient aujourd’hui environ trois cent cinquante dans le monde », explique Aymeri Suarez-Pazos, président de l’association d’Aide aux victimes des dérives des mouvements religieux et leurs familles (Avref), qui a collecté en 2014 une quinzaine de témoignages sans équivoque d’ex-TM… Avec son visa de « visiteur » collé sur son passeport puis confisqué par ses responsables, Marie a ainsi été cuisinière, serveuse, plongeuse, lingère, jardinière, comptable entre douze et quinze heures par jour.
Ballottée entre Toulon, Lisieux, Liesle, l’ermitage de Notre-Dame-de-Consolation, dans le Doubs, Rome et Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, elle a astiqué à quatre pattes les planchers, préparé des entrées froides, assuré l’accueil de centaines de pèlerins, ramassé du bois dans le froid mordant du petit matin et chanté des hymnes religieux sous l’œil ravi des prélats du Vatican en train de se sustenter au premier étage d’un magnifique palais Renaissance, à Rome. Enfin, quand l’expression « banane flambée » était prononcée, elle savait qu’il fallait se cacher pour échapper à la vigilance des inspecteurs du travail venus opérer un contrôle. Marie n’est pas la seule à avoir porté plainte. Trois femmes et un homme – une branche masculine a été créée à partir des années 2000 – ont poussé la porte des tribunaux la même année, à Caen, Paris et Versailles.
Au même moment – faut-il y voir un lien ? –, en septembre 2015, des cartes Vitale ont enfin été distribuées à des sœurs en mission en France. En attendant le travail de la justice, l’Église, qui a longtemps fermé les yeux, malgré les alertes d’un cardinal et de quelques prêtres(3), a pris conscience de la situation dramatique. Une enquête du Vatican est en cours… De son côté, l’organisation a déjà préparé sa défense. Dans son Memorandum publié sur Internet en 2014, elle précise que la « tâche » de Marie, comme celle des autres, est « librement acceptée ».
C’est une « offrande » et « un moyen d’apostolat ». Dans un e-mail adressé à Marie Claire, la responsable générale, Agnès Brethomé, minimise les plaintes : « Elles semblent émaner d’ex-membres ayant quitté la communauté après avoir pris conscience qu’elles n’avaient pas de vocation à la vie consacrée. » Et d’insister sur le fait que les TM ne sont pas dans une relation de travail salarié avec la communauté : « Notre régime à l’égard des institutions sociales est celui des religieuses. » Sauf que les TM forment en réalité une association membre du tiers ordre carmélitain, reconnue par le Vatican depuis 1988 mais laïque (c’est-à-dire indépendante du clergé). Elles ne sont pas des sœurs, mais relèvent donc du droit commun. « Les responsables semblent entretenir une ambiguïté sur le statut de ces jeunes femmes.
Elles sont tantôt laïques tantôt religieuses, au gré des besoins », explique Serge Blisko, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, qui a accompagné les victimes dans leur parcours judiciaire et demandé le regroupement des plaintes auprès du parquet de Caen. La mission prend très au sérieux le dossier : « Cela dépasse le cadre du droit du travail, parce que ces jeunes filles, sous couvert d’une vie spirituelle, sont sous emprise et privées de leurs droits élémentaires », note Serge Blisko.
Au quotidien, la vie d’une missionnaire rime en effet avec enfermement, humiliation et atteinte à l’intégrité physique. « Les filles en ressortent psychologiquement détruites. Certaines ont même tenté de se suicider », alerte Jeanne, une TM « historique », qui a accueilli chez elle dès les années 80 plusieurs ex-missionnaires. « Il faut que cela cesse. Leurs agissements ne sont pas du tout catholiques », appuie Daniel, qui a quitté la communauté en 2005.
Brigitte et Madeleine reçoivent dans un foyer étudiant de religieuses, où elles vivent depuis leur départ des TM, en 2007 et 2010. Comme Marie, ces deux quadragénaires burkinabées ont porté plainte pour esclavage moderne. Autour d’une assiette de sablés au sésame, une recette apprise « là-bas », elles racontent comment, dès leur arrivée, on leur bourre le crâne.
« Obéissance, pureté, travail sont les maîtres mots, tandis que l’argent est diabolisé »
confient les deux femmes. La figure du père fondateur, l’abbé Roussel, mort en 1984, est sans cesse invoquée : la fidélité à sa parole permettrait, selon la direction actuelle, de garantir la pérennité du système. L’homme était pourtant sulfureux : il est réputé pour des abus sexuels présumés envers celles qu’il considérait comme des « vierges pures ». Selon plusieurs témoignages, il aurait eu pour habitude de regarder les jeunes filles faire leur gymnastique en culotte, le matin, et être lavé à main nue par plusieurs TM, elles-mêmes déshabillées.
Des accusations qui ont totalement cessé avec sa disparition. Il n’empêche, ses écrits sont lus trois fois par jour et gravés sur des CD. « Sa chambre à Rome, où il est mort, est devenue un lieu de pèlerinage », précisent Brigitte et Madeleine.
Au sein de la communauté, l’autonomie n’existe pas.
« Quand nous avions besoin d’un nouveau soutien-gorge, nous devions déposer notre demande par écrit aux pieds de la statue de la Sainte Vierge. Et elle t’en donnait un quand elle voulait »
rit jaune Madeleine. Tout contact avec l’extérieur est aussi réduit. Le courrier avec la famille ? « On devait lire nos lettres à voix haute pendant les repas. Et pour celles qu’on écrivait à nos proches, il ne fallait pas cacheter les enveloppes », complète-t-elle. Autre rituel obligatoire : à l’époque, on vérifiait tous les mois le poids des filles. Un critère alors déterminant pour faire tourner les restaurants. « Celles qui avaient grossi devaient se mettre au régime, pour rester élégantes auprès des clients. Les maigrichonnes étaient condamnées au steak saignant », détaille Madeleine.
Lors des entretiens réguliers en face à face avec la direction, les jeunes femmes doivent avouer leurs « pêchés », et surtout dénoncer les collègues. Résultat : entre les membres de la communauté, la solidarité fait défaut. « Une fois, j’avais besoin d’aide pour étaler de la crème sur mon dos endolori. J’ai dû en mettre sur le rebord du lavabo et me coucher dessus », relate Brigitte, encore écœurée. Dans ce qui est devenu un enfer, la fatigue et la déprime finissent par prendre le dessus. « J’en oubliais mon anniversaire et je ne dormais pas. Mais je pensais que je n’aimais pas assez Jésus », se souvient Madeleine.
C’est une maladie qui pousse Brigitte à partir : « Comme pour les autres, on ne voulait pas me soigner par manque d’argent. » Pour Madeleine, c’est la rencontre avec une religieuse d’une autre communauté, lors d’une formation à Rome, qui lui « ouvre les yeux ». Au bout d’un an de discussions houleuses, la direction finit par la laisser partir, pariant qu’elle se sentira trop honteuse pour en parler à ses proches. Et cache le motif réel aux autres. Même si la foi est toujours là, le retour à la vie normale n’en demeure pas simple. Madeleine, Brigitte et Marie aident aujourd’hui des TM à s’échapper à leur tour. Parfois de façon rocambolesque : « Une jeune fille a quitté son service au restaurant en catimini, pour nous confier ses affaires et nous rejoindre plus tard, à l’insu des autres ».
Les « sœurs » les contactent via les réseaux sociaux, qui leur sont accessibles au compte-gouttes. « Internet et Facebook ouvrent une brèche dans ce système clos », se réjouissent Madeleine et Brigitte. Il y a peu, elles ont encore reçu dans leur boîte e-mail cet appel à l’aide : « S’il vous plaît, aidez-moi, je n’en peux plus, c’est infernal cette vie. »
http://www.marieclaire.fr/,du-reve-spirituel-a-l-esclavage,823773.asp
Marseille : la table de la Bonne Mère sous surveillance
La Provence – 19/10/2015. Par Delphine Tanguy.
En 2014, une association consacre un « livre noir » aux conditions de travail des Travailleuses missionnaires, qui gèrent des restaurants attachés aux diocèses, dont celui de L’Eau Vive, à Notre-Dame de la Garde. Alors que les plaintes se multiplient, leur regroupement au tribunal de Caen est demandé par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Non, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille et président de la Conférence des évêques de France ne « parlera pas ».
C’est que le sujet est, depuis plus d’un an, un bien gênant caillou dans la chaussure de l’Eglise et de ses représentants. A-t-on laissé, depuis des années, des femmes travailler dans des conditions « proches de l’esclavage », dans des restaurants sous contrat avec les diocèses ? La charmante cafétéria de L’Eau vive, au coeur même de Notre-Dame de la Garde, abrite-t-elle ainsi une réalité plus sombre que ses nappes aux fleurs passées, que les sourires doux de ses employées en tenues traditionnelles ? De cela, l’Avref, qui a, la première, donné l’alerte, est convaincue. En 2014, l’association publiait un « livre noir » des Travailleuses missionnaires de l’Immaculée. Intégrées au sein de la Famille Donum dei, un ordre créé en 1950 et ne rendant toujours de comptes qu’au Saint-Siège, celles-ci ont généralement été recrutées jeunes filles au Burkina Faso, dans les îles Wallis, au Vietnam et au Pérou, pour travailler dans ces cafétérias jusqu’à 15 h par jour, « pour 10 à 15 € par mois ». Ebranlé par les plaintes, l’ordre a entrepris une régularisation. Souvent sans papiers ni Sécurité sociale, certaines se sont enfuies à Caen, à Paris, à Versailles, à Marseille ou Toulon. L’été 2014, nous avions retrouvé, à Aix-en-Provence, certaines de ces femmes, des laïques et non des religieuses, qui dénonçaient l’isolement, le manque de soins et d’accès à la formation, le travail harassant et continuel, une expérience de « soumission totale », loin de ce qui avait été présenté aux recrues, dans leur pays d’origine.
Ces témoignages ont alerté jusqu’au sommet de l’Etat. La Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), directement rattachée aux services du Premier ministre, a ces derniers mois auditionné six anciennes travailleuses et relevé « des éléments qui caractérisent la déstabilisation mentale », pointant « la diabolisation du monde extérieur, les ruptures avec l’environnement d’origine,l’absence de soins et les atteintes à l’intégrité physique. » L’affaire « est prise très au sérieux », confirme t-on dans l’entourage de Serge Blisko, le président de la Miviludes, qui est d’ailleurs venu à Marseille en mai dernier.
Aujourd’hui, une demi-douzaine de plaintes ont été déposées dans toute la France.
En juillet, Serge Blisko a défendu auprès de la garde des Sceaux leur regroupement au tribunal de Caen, afin « d’augmenter les chances de (les) faire aboutir ». Selon la Miviludes, « les responsables de la communauté sembleraient entretenir volontairement une ambiguïté sur le statut des membres ». L’organisation décrit, elle, « la tâche librement acceptée » comme « une offrande » et qualifie les critiques de « caricature outrancière ». Cependant ébranlée par la révélation de certaines pratiques, la Famille Donum dei a entrepris depuis janvier une régularisation de ces femmes. Elles ont ainsi, en France, reçu… la première carte Vitale de leur vie.
Droit de réponse de l’Association des travailleuses missionnaires
la Croix 26/6/15 – L’article intitulé « Une ancienne Travailleuse missionnaire dépose plainte à Caen », publié sur le site Internet du journal la Croix le 20 avril 2015, met en cause l’Association des Travailleuses Missionnaires…
Il convient de rappeler que les lieux d’accueil et de restauration dénommés « Eau Vive » constituent pour les Travailleuses Missionnaires un cadre au sein duquel s’épanouissent la vie spirituelle de la Communauté et la mission d’apostolat de ses membres, par l’accueil et l’écoute des pèlerins ce, à trvers une restauration dont le dessein n’est aucunement économique. La plaignante alléguée, ex-Travailleuse Missionnaire, aurait notamment dénoncé avoir travaillé plusieurs années sans percevoir de salaire.
Cette accusation est dénuée de sens dès lors que les membres d’une communauté religieuse comme celle des Travailleuses Missionnaires – intègrent librement la Communauté et choisissent tout aussi librement de mettre leur activité au service de celle-ci, laquelle prend en charge ses membres et pourvoit à leurs besoins.
Les membres de la Communauté n’en sont pas salariés et ne sauraient l’être puisque ce n’est pas le lien qui les unit à la Communauté : ses membres exercent une activité commune aux services des autres, comparable à celle des religieuses infirmières dans les hôpitaux, centres de soins et maisons de retraite.
Si les centres d’accueil pour pèlerins sont logiquement ouverts 7 jours sur 7, les Travailleuses Missionnaires ne sont évidemment pas présentes de façon continue ; elles bénéficient toutes de temps de repos et de détente ainsi que d’heures d’études et d’office, notamment grâce à un roulement entre elles.
De nombreuses Travailleuses Missionnaires – encore membres de la Communauté ou l’ayant quittée – en témoignent. L’accusation selon laquelle on aurait pris son passeport à cette jeune femme est tout aussi mensongère. Elle indique elle-même qu’elle a circulé en Europe, notamment en Italie (à Rome) et dans un autre pays européen dont elle souhaite taire le nom.
À cet égard, il est important de souligner que toutes les Travailleuses Missionnaires bénéficient d’un titre de séjour, dont le renouvellement est régulièrement demandé par la Communauté.
Dans la mesure où les Travailleuses Missionnaires sont prises en charge par la Communauté, elles sont également affiliées à un régime d’assurance maladie : soit à la Cavimac, organisme de sécurité sociale dédié aux cultes religieux, soit au régime d’Entraide Missionnaire Internationale.
Enfin, il convient de préciser que le foyer d’accueil spirituel de Lisieux est géré par l’association Ermitage Sainte Thérèse, la Famille Missionnaire Donum Dei se contentant d’apporter son concours au fonctionnement de ce lieu.
En définitive, il semble que, sa vocation missionnaire l’ayant quittée, cette ex-travailleuse missionnaire s’en prenne de manière injustifiée à la famille Donum Dei et à la Communauté des Travailleuses Missionnaires.
Une ancienne Travailleuse missionnaire dépose plainte à Caen
La Croix 20/4/15 – C.H.
Une plainte a été déposée au parquet de Caen, le 17 mars dernier, pour « exploitation par le travail et réduction en esclavage » contre la Famille Missionnaire Donum Dei, une association internationale laïque connue pour ses restaurants « L’Eau vive » et rattachée au tiers ordre des Grands Carmes. La plaignante, qui a souhaité garder l’anonymat, est une jeune Africaine, arrivée en France en 2002 à l’âge de 21 ans comme Travailleuse missionnaire (TM).
Au sein de sa communauté, elle affirme avoir été obligée de travailler plus de 16 heures par jour, sans salaire (si ce n’est l’équivalent de 10 € par mois pendant cinq mois), d’abord au restaurant de l’Eau Vive à Marseille, puis à Domrémy, Lisieux et Rome. Jusqu’au jour où, en 2011, elle a décidé de fuir, sans ses papiers, un matin, pendant que les autres TM étaient à la messe.
« Je n’arrivais plus à prier, j’étais épuisée et ma vie intérieure était réduite à rien. Les responsables m’ont vendu une vocation qui n’existait pas. Je pensais être religieuse mais j’ai réalisé que nous n’étions pas de vraies consacrées et que les TM nous déclaraient comme bénévoles internationales. Elles m’avaient dit en outre que je pourrais poursuivre mes études, mais chaque fois que j’ai demandé à pouvoir passer mon bac, elles m’ont répondu que vivre l’obéissance suffisait pour être missionnaire »
affirme-t-elle.
Sa plainte porte sur les années passées à Lisieux, au service de l’Ermitage Sainte-Thérèse.
Interrogée par la Croix, la Famille missionnaire Donum Dei rappelle que « les relations des TM de l’Immaculée au sein de la FMDD ne sont pas des relations ‘travailleur-employeur’, mais celles de ‘membres’ de communauté exerçant ensemble une activité commune au service des autres, comparable à celle des religieuses infirmières dans les hôpitaux, centres de soins, maisons de retraite. Leur activité est déterminée selon les règles de la Famille missionnaire Donum Dei qui sont respectueuses du bien-être de chacune et cela sous la vigilance d’une responsable locale qui veille à l’équilibre de vie ».
De son côté, le P. Olivier Ruffray, recteur du sanctuaire de Lisieux qui est lié par une convention aux Travailleuses missionnaires pour qu’elles assurent la bonne marche de l’Ermitage Sainte-Thérèse, se dit « surpris » par cette plainte. « Les Travailleuses missionnaires que je vois à Lisieux me semblent épanouies, je suis attentif à ce que leur travail puisse correspondre à leur vie communautaire », souligne-t-il, se disant « vigilant en attendant les résultats de l’enquête ».
Le témoignage de cette Africaine de 34 ans, aujourd’hui en attente de son titre de séjour, sans emploi, prise en charge par le 115 avec son enfant de 2 ans, s’ajoute à celui de plusieurs anciennes TM qui ont quitté la communauté ces dernières années.
Regroupées au sein d’un collectif soutenu par l’Avref (association d’aides aux victimes des dérives dans les mouvements religieux en Europe et en France), elles demandent une réforme de la Famille Missionnaire Donum Dei.
Une visite canonique a été sollicitée à Rome, mais n’a pas encore commencé. Selon une source proche du dossier, la question de la protection sociale des TM serait toutefois « en cours de régularisation » avec la Cavimac.
Le malaise des anciennes Travailleuses missionnaires de « L’Eau vive »
Une cinquantaine d’anciennes Travailleuses missionnaires de l’Immaculée ont quitté leur communauté ces dix dernières années…La Croix 16.07.14 – Dans ces établissements, un travail effréné et un climat semble-t-il très autoritaire ont poussé certaines Travailleuses missionnaires de l’Immaculée à porter plainte.Plusieurs font part d’un malaise et demandent une réforme de cette association internationale laïque connue pour ses restaurants « L’Eau vive » et rattachée au tiers ordre des Grands Carmes. Près de 50 départs depuis 2005, 15 plaintes déposées au printemps à l’Avref (association d’Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles)… Derrière le sourire et les chants dont elles régalent, en costume traditionnel, les clients des restaurants « L’Eau vive » qui ont fait leur notoriété, un profond malaise traverse la communauté des Travailleuses missionnaires de l’Immaculée (TM).
À visage découvert ou dans l’anonymat (1), originaires du Burkina Faso et du Cameroun, une quinzaine d’entre elles évoquent les mêmes difficultés rencontrées au cours des quinze ou vingt années qu’elles ont passées dans cette communauté.
« Nous avons quitté notre pays très jeunes, attirées par la vie consacrée, mais nous nous sommes retrouvées à travailler à un rythme effréné dans les restaurants : lever à 5 h 30, prière, gymnastique, lectures, travail, et coucher à minuit, après avoir servi le dernier client… Tu peux passer des années ainsi, sans une minute pour réfléchir, discerner, évoluer humainement et spirituellement »
résume Émilienne, 40 ans, aujourd’hui aide-soignante en région parisienne, et menant toujours une vie consacrée.
C’est au cours d’une session organisée à Rome par les supérieures majeures pour les formatrices de communautés internationales que cette Burkinabée, dévouée à cette famille spirituelle où elle était entrée à 16 ans et avait fait ses « épousailles » (2), a un « déclic » : « J’ai pu mesurer le gouffre qui nous séparait des autres congrégations : nous vivions en autarcie sans les clés d’une vraie liberté intérieure », explique Émilienne, partie en 2010 après un long discernement avec une accompagnatrice spirituelle extérieure.
Passeport confisqué par les responsables, courrier lu en public, logement en dortoir, sans ressources personnelles (5 € à 15 € mensuels tout au plus), communication restreinte avec la famille et interdiction de lier amitié avec les clients du restaurant : la plupart se plaignent d’un climat autoritaire infantilisant.
Camerounaise, Gracia, elle, a quitté les TM en 2006 et mène des études de droit : « Je ne peux pas dire que je me suis trompée de vocation, mais elles ne savent pas entretenir leurs vocations… J’aurais aimé qu’elles tiennent compte de nos aspirations et de notre charisme personnel. Même après seize ans chez les TM, j’étais considérée comme la petite nouvelle qui n’a pas son mot à dire, aucune idée à apporter… J’étouffais, j’avais besoin de donner le meilleur de moi-même. »
Comme Gracia, la plupart de ces femmes, recrutées à 14, 16 ou 18 ans dans leur pays, expriment une même frustration de ne pas avoir reçu de formation solide, contrairement à ce qu’on leur avait promis. « Lorsque j’ai demandé à étudier, on m’a répondu que Jésus n’avait pas de diplôme… », confie Astrid.
Elles déplorent aussi un manque de considération et de soin, ainsi qu’un défaut de respect du for interne. « On nous demandait de tout dire à une TM au cours de dialogues mensuels, mais ensuite, elle répétait aux responsables et cela nous retombait dessus », glisse Marie-Amélie. Émilienne, chargée de la formation des jeunes, se souvient : « Le carme qui accompagnait les TM me faisait un compte rendu et moi je faisais remonter à Rome. ’’Dans une famille, on se dit tout’’, justifiaient les responsables. »
Sollicités par La Croix, les Grands Carmes n’ont pas souhaité répondre, précisant ne pas avoir de contact direct avec les TM. Membre du conseil de direction international de la Famille missionnaire Donum Dei, Magali Gaussen dit prendre acte de leur « frustration de n’avoir pas trouvé auprès de nous ce qu’elles cherchaient, ou rêvaient », mais rejette ces critiques. Elle estime que ces témoignages « émanent de personnes qui maintenant souhaitent avant tout s’installer en France. Elles ont perdu le sens de leur vocation première et, avec, le sens de ce qu’elles voulaient vivre. »
De leur côté, les anciennes missionnaires refusent de se situer « contre » leur communauté. Certaines se disent même toujours attachées et reconnaissantes, mais espèrent un « changement du système ». « En aucun cas nous ne souhaitons que cette communauté se désagrège. Mais que l’Église prête attention, désigne des prêtres pour l’accompagner dans une thérapie interne, car beaucoup souffrent à l’intérieur, assure Pascal, ancien de la branche masculine des TM. Dans toutes les maisons où je suis allé, les plaintes des filles, dès que les responsables avaient le dos tourné, étaient les mêmes… » Comme Émilienne ou Gracia, lui aussi dit avoir cherché à insuffler un changement de l’intérieur, mais avoir été marginalisé avant de jeter l’éponge.
Aujourd’hui, toutes ces femmes se retrouvent sans rien : la plupart n’ont pas de cotisations pour la retraite, nul document attestant de leurs compétences professionnelles et, pour tout dédommagement, 300 €, ainsi que le prix d’un billet aller simple pour leur pays d’origine.
Céline Hoyeau
(1) Certains prénoms ont été changés.
(2) Engagement définitif, après les « fiançailles ».