Bibliographie utile autour de l’islam radical
L’avantage, c’est qu’une grille juridique existe déjà et qu’elle permet de traiter le problème du radicalisme comme les autres dérives sectaires.
Hamed Abdel-Samad : «L’idée du djihad est aussi vieille que l’islam lui-même»
Par Alexandre Devecchio – Publié le 10/03/2017
INTERVIEW – Le Germano-Egyptien Hamed Abdel-Samad est l’un des plus grands spécialistes de l’islam politique en Europe. La traduction de son best-seller, Le Fascisme islamique, sort finalement en France, chez Grasset, six mois après que son éditeur initial a renoncé à le publier.
« Le Fascisme islamique. Une analyse», de Hamed Abdel-Samad. Traduit de l’allemand par Gabrielle Garnier. Grasset, 304 p. 20 €.
Né en 1972 près du Caire, fils d’imam, Hamed Abdel-Samad est l’un des penseurs de l’islam les plus reconnus en Allemagne. Menacé de mort par les islamistes, il vit sous protection policière. Son essai, Le Fascisme islamique, immense succès en Allemagne en 2014, aurait dû être publié en français à l’automne 2016 par la maison d’édition Piranha qui en avait acquis les droits. Mais son directeur, Jean-Marc Loubet, s’était ravisé pour des raisons de sécurité, mais aussi pour ne pas «apporter de l’eau au moulin de l’extrême droite».
Après que l’affaire a suscité un tollé en Allemagne, il paraît aujourd’hui chez Grasset. L’auteur y dresse un parallèle entre l’idéologie fasciste et l’islamisme, en remontant jusqu’aux origines du Coran. Pour Hamed Abdel-Samad, l’idéologie fascisante est ancrée dans les racines de l’islam: «L’islamisme n’est pas la trahison d’une religion immaculée, mais la tare originelle de sa traduction dans le champ politique.»
Dans votre dernier livre, vous expliquez que l’islamisme est un fascisme…
Je fais la comparaison à trois niveaux: l’idéologie, la structure organisationnelle et les objectifs. Islamisme et fascisme partagent le monde entre le bien et le mal, considèrent leurs adeptes comme des élus et le reste du monde comme des ennemis. Ils nourrissent tous deux leurs adeptes du poison de la haine et des ressentiments, déshumanisent leurs ennemis et appellent à leur extermination. La haine est idéalisée en vertu, et la lutte mystifiée en expérience transcendante. Pour ces deux idéologies, la lutte n’est pas seulement le moyen pour atteindre des objectifs politiques mais devient un but en soi.
Aussi bien dans l’islamisme que dans le fascisme, on ne combat pas pour vivre, mais on vit pour combattre.
Le principe du chef est central dans les deux cas. Le chef – ou, le cas échéant, le prophète – possède l’accès exclusif à la vérité absolue. Il est chargé d’une mission sacrée afin d’unir la nation et d’éliminer les ennemis. On ne peut pas le critiquer car toute l’identité du peuple (l’oumma) dépend de lui. Les deux idéologies s’emploient à dominer le monde et le rééduquer ensuite.
L’islam est né au VIIe siècle dans la péninsule arabique, le fascisme et le nazisme sont des idéologies du XXe siècle…
Le fascisme n’est pas seulement une idéologie politique, mais aussi une religion politique avec ses prophètes, ses secrets, ses vérités absolues et ses épiphanies sacrées. L’islam n’est pas seulement une religion, mais aussi une idéologie politique avec une mission clairement définie. L’islam fait encore aujourd’hui partie de notre réalité politique. Mahomet continue à régner depuis sa tombe et décide de la vie et de la mort.
«L’islam modéré est un islam qui attend seulement sa chance de prendre le pouvoir. Nous nous souvenons tous de l’attitude d’Erdogan quand il avait besoin du soutien de l’Occident. Depuis, il a montré son vrai visage»
Selon vous, il n’existe pas d’islamisme modéré. Pourquoi?
L’islam n’a pas été créé afin de faire partie d’un ordre mondial façonné par les hommes, mais pour modeler le monde depuis le haut. Il se montre sous un jour modéré seulement là où il n’a pas (encore) conquis le pouvoir. Là où il détient les rênes politiques et juridiques, il pratique des prisons à ciel ouvert et l’oppression des minorités, le mépris de la femme et des droits de l’homme. L’islam modéré est un islam qui attend seulement sa chance de prendre le pouvoir. Nous nous souvenons tous de l’attitude d’Erdogan quand il avait besoin du soutien de l’Occident. Depuis, il a montré son vrai visage.
L’une des thèses les plus provocantes de votre livre est que l’idéologie fascisante est ancrée dans les racines mêmes de l’islam…
«Les Frères musulmans ainsi que l’Etat islamique ne font rien d’autre que ce que Mahomet et ses adeptes ont fait auparavant: la conquête, l’esclavage, l’assassinat des prisonniers de guerre et l’exécution de peines corporelles»
L’islam est né politique. C’est sa tare de naissance: Mahomet n’était pas seulement prophète, mais aussi chef d’armée, législateur, juge et ministre des Finances. Le mélange entre croyance, pouvoir, guerre et législation est ancré dans le Coran. Ce ne sont pas les Frères musulmans qui ont commencé à diviser le monde en croyants bénis et incroyants damnés, mais Mahomet. L’idée du djihad comme combat pour la cause divine est aussi vieille que l’islam lui-même. Dieu lui-même se décrit comme guerrier dans le Coran, qui tue des incroyants de ses mains. Les Frères musulmans ainsi que l’Etat islamique ne font rien d’autre que ce que Mahomet et ses adeptes ont fait auparavant: la conquête, l’esclavage, l’assassinat des prisonniers de guerre et l’exécution de peines corporelles.
Ils ne font pas mauvais usage du Coran, ils traduisent seulement en actes ce que le Coran exige. Il y a 206 passages dans le Coran qui glorifient la violence et la guerre. La décapitation des incroyants y est exigée à deux reprises. On peut bien sûr lire tous ces passages en les plaçant dans leur contexte historique, mais le Coran s’entend lui-même comme la parole directe et ultime de Dieu pour les hommes. Il se présente comme un manifeste politique et une constitution valables pour tous les temps. C’est là qu’il y a un problème. L’intangibilité du Coran et du Prophète empêche la conceptualisation historique de ces passages et la possibilité de les déclarer inopérants pour notre vie d’aujourd’hui. Nous avons besoin d’un discours post-coranique et post-prophétique!
Une telle critique ne risque-t-elle pas «d’essentialiser» les musulmans?
Je n’ai jamais dit que tous les musulmans étaient des fascistes. Certes, il n’y a pas d’islam modéré, mais seulement des musulmans modérés. Tous les musulmans ne sont pas des corans ambulants. L’islam est multiple. L’aspect spirituel et social est agréable et important pour les hommes. L’aspect politique et juridique est dépassé et porte des caractéristiques fascistoïdes. Parmi les musulmans, beaucoup ont neutralisé dans leur vie quotidienne la dimension politique de l’islam, et ce depuis longtemps. Beaucoup de musulmans sont des démocrates, non pas parce que l’islam possède une orientation démocratique, mais parce que ce sont des personnes raisonnables et pragmatiques. Pour autant, on ne peut pas dire que 99,9% des musulmans soient pacifiques. Car la paix ne signifie pas seulement l’absence de violence et de terreur, mais l’élimination des structures et des cadres qui mènent à la violence. La plupart des musulmans ne commettent certes pas d’attentats terroristes, mais beaucoup d’entre eux soutiennent la théologie de la violence qui en est le fondement. Beaucoup sont certes contre l’Etat islamique, cependant ils ne s’opposent ni à l’idée du califat ni à la charia en soi.
Comment expliquez-vous l’antisémitisme dans le monde arabe? Est-il uniquement lié au conflit israélo-palestinien?
«L’antisémitisme a davantage à voir avec l’échec du monde arabe et avec l’éducation. On nourrit la population avec le poison de la haine»
On peut comprendre quand un Palestinien à Gaza ou un Libanais dans le Liban-Sud condamne Israël parce qu’ils ont perdu leur maison ou leur famille dans la guerre. Cependant, que des Marocains ou des Mauritaniens, qui n’ont strictement rien à voir avec ce conflit, haïssent les juifs de manière pathologique relève d’autre chose. Les juifs, dans le Coran, sont désignés à plusieurs reprises comme étant des escrocs, des incroyants ou encore les descendants des singes ou des porcs.
Allah, dans le Coran, applaudit les musulmans qui tuent des juifs et les chassent de leurs villes. Mahomet a prophétisé que les musulmans et les juifs se battront les uns contre les autres jusqu’à la fin du monde. Que, pendant la lutte finale, les juifs devront se cacher derrière des rochers et des arbres, et que ceux-ci s’écrieront alors: «O musulman, derrière moi se cache un juif, viens le tuer.» Cette exclamation célèbre de Mahomet est aujourd’hui enseignée dans toutes les écoles coraniques. L’antisémitisme a davantage à voir avec l’échec du monde arabe et avec l’éducation. On nourrit la population avec le poison de la haine et la prive d’énergies importantes dont on a besoin pour être productif. Il faut croire que les dirigeants, qu’ils soient islamistes ou laïques, ont besoin d’ennemis et de boucs émissaires pour déplacer l’attention de leur propre misère et canaliser la colère de la population vers une autre cible.
Le fait que Mein Kampf et Les Protocoles des Sages de Sion fassent partie des best-sellers de longue durée dans le monde arabe est une preuve de son indigence. Kant, Voltaire et John Lock sont des inconnus pour la plupart. Et ce n’est pas la faute d’Israël.
En France, le débat sur l’islam est très vif. Est-ce également le cas en Allemagne?
De soi-disant spécialistes-ès-terrorismes ont cru pendant longtemps que l’Allemagne serait à l’abri parce qu’elle jouissait d’une image positive dans le monde arabe et avait à l’époque condamné la guerre contre l’Irak. Puis, le fait qu’elle n’ait pas d’histoire coloniale au Proche-Orient a fait croire à certains que l’Allemagne allait être épargnée. Mais les terroristes islamistes haïssent l’Occident non seulement parce qu’il s’est engagé militairement dans le monde musulman, mais aussi parce qu’il est décadent et incroyant et qu’il empêche les musulmans d’exécuter le plan divin et de rétablir l’ordre du monde sous la domination de l’islam. On a cru que l’ouverture des frontières et la culture de l’accueil envers les réfugiés musulmans allaient protéger l’Allemagne de la haine islamiste.
Mais c’est exactement le contraire qui s’est produit. Cologne marque une césure … L’opinion a basculé quand la population a tout à coup compris que beaucoup des réfugiés qui avaient été accueillis avec des couvertures et des peluches par des femmes ont justement importuné ou violenté ces mêmes femmes quelques mois plus tard. Et c’est seulement après l’attaque au marché de Noël de Berlin à la fin de l’année dernière que l’on a compris que la politique des frontières ouvertes pouvait aussi représenter un danger existentiel.
« Une partie de la gauche n’analyse même plus les problèmes, elle ne fait que les moraliser. Or, ce n’est pas une protection pour les musulmans, sinon une forme de racisme qui consiste à abaisser le niveau d’exigence» – En France, l’écrivain Kamel Daoud a été accusé d’islamophobie pour avoir lié les viols de Cologne à la misère sexuelle du monde musulman… »
Je connais Kamel Daoud mais aussi l’attitude hostile à l’égard de sa critique de l’islam de la part des musulmans et de la gauche française. J’ai rencontré ce même cas de figure en Allemagne. Plutôt que d’affronter la critique de manière rationnelle, on essaie de diffamer celui qui critique et de le réduire au silence. Depuis le 11 Septembre, des musulmans tentent de démonter la critique de l’islam en mettant en avant l’islamophobie ou le racisme. Mais plutôt que de défendre l’islam avec autant de véhémence, ils feraient mieux de chercher les véritables raisons de la violence et de la misère dans le monde musulman. Et plutôt que d’attaquer des voix critiques comme Kamel Daoud ou moi-même, ils feraient mieux de s’élever contre l’Etat islamique ou contre l’islam politique en Europe. Cela est valable pour la gauche aussi, qui en temps normal n’a pas de problème avec la critique de la religion tant qu’il s’agit du christianisme, mais qui fait du chantage – en parlant de racisme – aux détracteurs de l’islam. Une partie de la gauche n’analyse même plus les problèmes, elle ne fait que les «moraliser». Or, ce n’est pas une protection pour les musulmans, sinon une forme de racisme qui consiste à abaisser le niveau d’exigence. On n’attend pas des musulmans qu’ils puissent supporter les mêmes critiques que les adeptes d’autres religions, on les transforme en victimes, les empêchant ainsi de régler les problèmes dont ils sont eux-mêmes responsables.
Alors, que faire pour enrayer la percée de l’islamisme ?
«L’islam a besoin d’une sécularisation et d’un processus démocratique. L’éducation de la haine dans les mosquées et dans les foyers doit cesser»
L’islam a besoin d’une sécularisation et d’un processus démocratique. L’éducation de la haine dans les mosquées et dans les foyers doit cesser. Le sentiment d’humiliation permanente et de paranoïa par rapport à l’Occident doit être surmonté. Les Etats occidentaux et démocratiques ne doivent pas permettre, au nom de la tolérance, que les intolérants construisent leurs propres infrastructures et diffusent leur idéologie. Nous ne devons pas seulement débattre de ce que nous devrions offrir aux musulmans, mais aussi de ce que nous attendons d’eux.
Nous sommes en droit d’attendre une égalité du traitement et, par conséquent, que Mahomet et le Coran puissent être critiqués tout autant que Jésus et la Bible. Nous pouvons aussi attendre d’eux qu’ils interviennent davantage pour lutter contre la théologie de la haine plutôt que d’organiser des campagnes de promotion de l’islam. Qu’ils descendent plus souvent dans la rue pour protester contre l’Etat islamique, au lieu de s’énerver contre des caricaturistes et des détracteurs de l’islam. L’islam n’a pas de problème d’image, il a un problème avec lui-même et avec l’interprétation de ses textes sacrés et de sa mission politique.
Vous avez vous-même eu des difficultés à publier votre livre en France.
Oui, les éditions Piranha (http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/08/05/97001-20160805FILWWW00216-un-editeur-renonce-a-publier-un-livre-sur-le-fascismeislamique.php) auraient dû publier mon livre en septembre 2016. Mais seulement quelques semaines avant la date de publication, la maison d’éditions a annulé la publication. Après les attentats de Charlie Hebdo, du Bataclan et de Nice, elle a eu peur de devenir une cible des islamistes pour la publication d’un livre intitulé Le Fascisme islamique.
J’aurais compris si cela s’était arrêté à cet argument, car c’est en effet une question de vie et de mort et je n’attends pas que tout un chacun prenne les mêmes risques que moi. Mais la maison a voulu transformer cette nécessité en vertu, et la peur en argument moralisateur. Le renoncement à la publication devait ainsi protéger les musulmans de la montée de l’extrémisme de droite en France. Mais ce retrait n’était rien d’autre qu’une génuflexion lâche face aux islamistes et à l’extrême droite. Nous ne pouvons pas lutter contre les radicaux si nous passons sous silence des débats nécessaires. Celui qui veut empêcher que des racistes et des extrémistes s’emparent du thème de l’islam et des migrations et l’exploitent à des fins de haine et d’exclusion doit mener ce débat honnêtement et publiquement dans l’espace politique et intellectuel. Je n’aurais jamais pu imaginer qu’un éditeur argumente ainsi dans le pays de Voltaire en 2016. Heureusement que la maison Grasset a décidé de publier le livre. Voltaire n’est pas encore à terre. Mais pour combien de temps ?
Laura, repentie : « On est comme dans une secte »
Dernières Nouvelles d’Alsace 02/10/2016- Terrorisme / De retour de l’enfer de Daech – RECUEILLI PAR XAVIER FRERE.
Sans pseudonyme, à visage découvert. C’est l’une des premières femmes à témoigner ainsi, courageusement, à son retour, de l’enfer de Daech (*). De ses neuf mois en Syrie, avec son fils de 4 ans, où elle a vécu « dans la guerre, sous les bombardements, enfermée, comme de très nombreuses femmes, uniquement là-bas pour procréer, rien d’autre », nous décrit Laura Passoni, 31 ans aujourd’hui.
« Des ‘’haineuses’’ prêtes à prendre les armes ». « Je témoigne pour en empêcher d’autres de partir, ou de commettre des attentats ».
Cette Belge de Charleroi avait été endoctrinée en quelques mois avant de prendre la direction du territoire irako-syrien. À la suite d’une déception amoureuse -le départ du père de son fils- cette convertie d’une famille d’origine italienne se laisse envoûter par un « chasseur en ligne » de Daech : « Le recruteur vend du rêve, il me disait que je pourrais être infirmière, que ma vie d’ici était désormais inutile ». Laura Passoni l’a compris aujourd’hui, ils ont joué sur « sa faiblesse ». « Je me suis confiée à lui, j’étais totalement manipulée », se remémore-t-elle, « pour moi, on est comme dans une secte ». Ces dernières semaines, l’implication de jeunes Françaises dans des préparatifs d’attentat (et leur arrestation) a fait écho à son propre embrigadement.
« On n’avait pas vu beaucoup de filles jusqu’ici, même le ‘’califat’’, quand j’y étais, interdisait aux femmes de participer à des attentats », éclaire la jeune maman, « mais je ne suis pas choquée par ce qui est arrivé en France, j’ai connu beaucoup de ‘’haineuses’’ là-bas qui voulaient prendre les armes et tout faire péter ». Laura Passoni a eu du mal à se réadapter à une vie « normale » à son retour en Belgique. Pour participation aux activités d’un groupe terroristes, elle a été condamnée à trois ans de prison avec sursis, son mari à quatre ans de prison ferme…
http://www.dna.fr/faits-divers/2016/10/02/laura-repentie-on-est-comme-dans-une-secte
Pourquoi les politiques de déradicalisation sont un fiasco ?
Alors que l’État diffuse depuis cette semaine des spots pour prévenir la radicalisation, dans la djihadosphère, c’est moqueries et rires à ne plus en finir.
huffingtonpost.fr – 26/11/2016
Achraf Ben Brahim, étudiant en droit et sciences politiques. Ce n’est un secret pour personne, Stop-Djihadisme et l’action du gouvernement en termes de dé-radicalisation connaissent un flop retentissant. Tous les observateurs avisés du sujet peuvent en témoigner et la récente fermeture du centre de Dounia Bouzar, présentée par le ministère de l’intérieur comme la cador en la matière parachève l’épopée d’un naufrage non seulement rapide mais surtout prévisible…
La radicalisation, une conviction plutôt qu’une pathologie. Lorsque j’ai posé la question de la dé-radicalisation à Rachid Kassim, instigateur de l’attentat de Saint-Etienne du Rouvray dans le cadre de mon livre, la réponse fut limpide : « C’est tout à fait normal que les marchands du temple, que ce soit les soi-disant imams ou les Dounia Bouzar, cherchent à se faire de l’argent sur notre dos. Le plus marrant, c’est qu’ils font leur pain sur les djihadistes qu’ils détestent tant. Ils nous qualifient d’extrémistes, de fous, égarés etc. mais si nous n’étions pas là, ils ne pourraient pas gagner leur pain. Sans nous, ils ne pourraient pas sortir des films, des livres, faire des centres de dé-radicalisation etc. Ils sont bien contents qu’on existe. Ces hypocrites, qui en profitent pour créer ce business sur la dé-radicalisation, c’est grâce à nous qu’ils sont reconnus ».
Un autre, Abou Moussa, m’a répondu : « qu’ils essayent d’inverser la courbe du chômage avant de prétendre nous dé-radicaliser ». Il est temps de comprendre que la radicalisation n’est pas un simple processus émotif ou sectaire qui découle d’une déception personnel ou le fruit d’un désœuvrement ou rejet social. Parmi les protagonistes interviewés dans mon ouvrage, se trouvent des ingénieurs, des opticiens, des techniciens qualifiés ainsi que des graphistes multimédia. Soit un agrégat de djihadistes socialisés, conscient de ce qu’ils font et profondément convaincus par le dogme religieux qu’ils défendent.
Mais au lieu de s’intéresser à ce dogme et tenter de le déconstruire, une certaine paresse pour ne pas dire méconnaissance s’est installée, préférant parler de folie ou de démence que de conviction. Car la radicalisation n’est pas une maladie, c’est une conviction, aussi extrême soit-elle. Et elle répond à des normes dogmatiques bien définis comme Al-Wala wa Al-Bara (l’Alliance et le désaveu) ou encore Le Tâghout (l’idole, la république en l’occurence). Cette ignorance du dogme jihadiste explique aujourd’hui en grande partie l’échec cinglant des politiques publiques sur le sujet, permettant l’apparition d’un véritable business…
http://www.huffingtonpost.fr/achraf-ben-brahim/radicalisation-lutte-daech/
La liberté d’expression à l’épreuve du harcèlement juridique de l’islam politique
Le Vif. 06/07/16
Pierre angulaire de notre démocratie, la liberté d’expression et son corollaire, la liberté de critiquer, sont sérieusement remises en cause au nom d’une vision falsifiée de la lutte contre le racisme, qui assimile la critique de l’islam à une forme de racisme, en la qualifiant d’ » islamophobie « . Ce positionnement idéologique, qui relève de l’escroquerie sémantique, concourt à imposer l’idée que la liberté d’expression serait subordonnée aux diktats des religions en général et de l’islam en particulier.
Pourtant, aujourd’hui nombre de penseurs…de journalistes et de militant(e)s féministes et laïques font l’objet de graves persécutions, voire de menaces de mort en raison de leur détermination à user de ce droit. Cette tendance prend une orientation dramatique s’agissant du monde dit musulman où la séparation des pouvoirs politiques, religieux et judiciaires est un enjeu fondamental qui oppose, à l’heure actuelle, des démocrates aux islamistes et aux régimes autoritaires ou dictatoriaux.
C’est le 14 février 1989, avec la publication du roman de Salman Rushdie Les Versets sataniques, que l’opposition frontale à la liberté d’expression prend une tournure des plus terrifiantes en se transposant sur la scène européenne. L’ayatollah Khomeiny appelle tous les musulmans à tuer le romancier anglo-indien accusé de blasphème. Désormais, la stratégie des islamistes consiste à éliminer par tous les moyens leurs opposants. C’est dans ce contexte qu’il faut situer la condamnation à mort de Taslima Nasreen (1993), l’assassinat de Theo van Gogh (2004), les tentatives visant le caricaturiste danois Kurt Westergaard (2005), ainsi que la tuerie à Charlie Hebdo le 7 janvier 2015.
La légitimité de la mise à mort des esprits libres est clairement revendiquée par l’islam politique. Leur élimination est programmée et se joue sur plusieurs niveaux. Le terrain juridique en est un et il n’est pas des moindres. Des poursuites judiciaires sont désormais intentées contre des militants laïques et féministes sous de faux prétextes. Cette nouvelle stratégie qui s’apparente à une « guerre juridique », s’est visiblement mise en place, afin de museler quiconque use de sa liberté de parole pour critiquer l’islam radical et tester la résistance des « cibles » et des institutions. En France, le procès des caricatures de Charlie Hebdo en a préfiguré le terrifiant engrenage. Le procès contre la crèche Baby Loup a suivi, avec ses interminables rebondissements judiciaires dont la directrice, Natalia Baleato, est sortie victorieuse, mais au prix d’un long combat.
Au Québec, Djemila Benhabib, journaliste et essayiste bien connue pour son combat contre l’islam politique en est déjà à son deuxième procès. En 2012, elle est poursuivie par une mère musulmane qui lui reproche d’avoir publié sur son blogue les photos de ses deux enfants prises lors d’un concours de récitation coranique organisé à la mosquée al-Rawdah, un fief des Frères musulmans. Or, ces mêmes photos étaient déjà publiées sur le site de ladite mosquée. Djemila Benhabib a gagné ce procès sans réel objet, mais on peut imaginer ce que cela représente de pression morale et financière. Le 26 septembre prochain s’ouvrira à Montréal, un autre procès qui l’oppose, cette fois-ci, à une école islamique pourtant financée par le ministère de l’Éducation et qui fait du port du voile islamique une obligation à partir de la troisième année (c’est-à-dire pour des fillettes de 9 ans). Au Royaume uni, la militante féministe, Maryam Namazie qui mène une lutte acharnée contre les tribunaux de la charia est confrontée à des lobbies organisés au sein des campus universitaires qui viennent perturber violemment ses conférences. Cet insupportable harcèlement consiste toujours à faire passer des militant-e-s laïques pour des racistes.
Ne nous trompons pas sur les véritables motivations des auteurs de ces attaques d’un type nouveau. D’abord, il s’agit de faire régner la peur pour empêcher toute expression critique envers l’islam ou contre la façon dévoyée dont certains veulent l’imposer à d’autres. Ensuite, il s’agit de mettre une pression démesurée sur les personnes visées, pour les épuiser psychologiquement et financièrement, les ostraciser et les éliminer du débat public. Bref, les décourager de continuer à s’exprimer publiquement. C’est pourquoi nous réaffirmons avec force que les démocrates du monde entier refusent la stratégie de la peur et de l’intimidation. Il ne saurait être question de renoncer à la liberté d’expression, pas plus qu’à l’universalité des droits humains et à ceux des femmes en particulier, qui ne doivent souffrir aucune contestation ni restriction au nom de préceptes religieux ou de prétextes culturels. À nous de rassembler nos forces pour nous donner les moyens d’agir collectivement. C’est le premier objectif du comité de soutien qui vient de se constituer. http://djemilabenhabib.com/ je-soutiens-djemila
Par Élisabeth Badinter philosophe, Gérard Biard directeur de Charlie Hebdo, Ewa Débrowska-Szulc, présidente de l’association ProFemina-Pologne, Sanal Edamaruku fondateur-président International Rationalist et président Indian Rationalist, Caroline Fourest journaliste, Nadia Geerts philosophe, Shoukria Haidar présidente de NEGAR- Soutien aux femmes d’Afghanistan, Guy Haarscher, philosophe et professeur ordinaire émérite, Bernard Landry ancien premier ministre du Québec, Taslima Nasreen écrivaine, Hubert Reeves astrophicien, Yvette Roudy ancienne ministre des droits des femmes, Boualem Sansal écrivain, Fatoumata Fathy Sidibé députée au parlement de la région Bruxelles-Capitale, Mohamed Sifaoui auteur et réalisateur, Viviane Teitelbaum députée au parlement de la région Bruxelles-Capitale, échevine, Sam Touzani, comédien – Djemila Benhabib. © djemilabenhabib.com
Affaire des shorts : «La police de la vertu islamiste impose ses normes par la violence»
Par Céline Pina Le Figaro 08/09/2016
À Toulon ce dimanche, deux hommes se sont fait agresser et frapper sous les yeux de leurs enfants, par une bande de jeunes issus de la cité dite «sensible» des Œillets, simplement parce que les femmes qui les accompagnaient étaient en short.
Toujours à Toulon, le 13 juin 2016, une jeune fille de 18 ans s’était faite insulter et menacer dans le bus de la ligne 3, par une bande de fille de son âge parce qu’elle portait un short. Aux cris de « putes » et « vas-y mets-toi toute nue », les jeunes hommes sont venus exercer une police de la vertu que l’on croyait impossible sous nos latitudes.
Aux cris de «putes» et «vas-y mets-toi toute nue» les jeunes hommes sont venus exercer une police de la vertu que l’on croyait impossible sous nos latitudes.
Dans le cas de la jeune fille en short, qui a raconté son agression sur Facebook, à la question «pourquoi vous me traitez de pute parce que je porte un short alors qu’un homme peut se balader torse nu en plein centre-ville sans que personne n’y trouve rien à redire?», les jeunes femmes ont répondu «ben parce que t’es une femme, faut se respecter, sale conne.» Ces gardiennes sourcilleuses de la pudeur des femmes, mais peu de la chasteté de leur vocabulaire par ailleurs, ont tout dit: un homme on doit le respecter, une femme doit se respecter…. Une assignation à la pudeur qui plonge ses racines dans l’hyper-sexualisation du corps féminin et qui explique le rejet du corps de la femme, vu comme intrinsèquement impur et sale.
Faire du corps de la femme, un enjeu social et politique, un marqueur de la progression d’une idéologie au sein de la société. La question du burkini, la multiplication des voiles intégraux, l’agression des femmes en short et le tabassage de leurs compagnons participent de la même logique. Faire du corps de la femme, un enjeu social et politique, un marqueur de la progression d’une idéologie au sein de la société. Dans les deux cas, c’est au nom de la transgression d’une «pudeur», érigée en norme pour la femme, que les agresseurs sont passés à l’acte.
Le corps enseveli de la femme, la visibilité de son invisibilisation marque sa soumission à un ordre social où elle ne doit pas exister dans la sphère publique, car elle y apporte le désordre et le dérèglement sexuel. Le short est vécu par certains comme la marque du refus de cette soumission, des résistances à cette nouvelle norme et les agressions qu’il déclenche témoignent de l’influence que gagnent les islamistes dans certains secteurs, où ils ont imposé leur vision du monde faite de séparatisme sexuel et confessionnel, quand bien même la pratique religieuse serait frustre ou aléatoire. Que les hommes aient été passés à tabac obéit au même processus. Puisque la femme, chez ces esprits rétrogrades appartient aux hommes, ceux qui n’imposent pas à leurs femmes cette nouvelle norme, sont faibles, traîtres à leur sexe et sont donc punit de leur déloyauté…
C’est par la violence que les islamistes veulent imposer leurs normes. Ces provocations et agressions sont des avertissements envoyés à un mode de vie qu’ils combattent. Un mode de vie, où la reconnaissance de la liberté des femmes n’est pas l’acceptation de leur frivolité, mais la reconnaissance de leur pleine capacité de citoyenne, qui va avec le droit de vivre en société avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que les hommes. Ces agressions sont un message politique clair: nous tenons les lieux, nous sommes puissants et prêt à en découdre. Vous ne maintiendrez votre mode de vie qu’à vos risques et périls. Et les tests de résistance comme les passages à l’acte se multiplient, sur les plages et dans les quartiers… La peur et le rejet que cette attitude génère est normale. Elle alimente le vote Front National et ce d’autant mieux si les regards se détournent… À la manifestation organisée à Toulon appelée «marche en shorts» après l’agression de la jeune fille en juin, il n’y avait pas un seul élu…
On n’éteindra pas la volonté de conquérir le pouvoir de ceux qui se servent de l’Islam pour imposer leur totalitarisme politique (y compris en attisant le feu de la guerre civile) en ignorant la multiplication de leurs provocations, mais en indiquant clairement que certaines attitudes sont séparatistes et inacceptables.
Une Nation n’est pas une auberge espagnole, ni un monde de bisounours où la tolérance suffirait à éviter tous les conflits. Nous avons tous à nous intégrer au monde commun qu’elle propose et celui-ci a son histoire, ses bornes, ses références et ses exigences. Il arrive ainsi que des revendications soient incompatibles et la notion de conflits de valeurs n’est pas une vue de l’esprit. Ceux qui combattent les fondamentaux de notre contrat social, ou en épousent les provocations violentes ou symboliques, n’y trouveront pas leur place et subiront l’opprobre et la marginalisation, à partir du moment où la manifestation de cet opprobre reste dans le cadre de la loi. Cela n’a rien à voir avec de la stigmatisation et tout à voir avec la justice. http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2016/09/08/31003-20160908ARTFIG00104-affaire-des-shorts-la-police-de-la-vertu-islamiste-impose-ses-normes-par-la-violence.php
L’illusion du paradis, le moteur des kamikazes
Source AFP. Publié le 29/06/2016. Le Point.fr
Le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, tente de décrypter la logique des terroristes…À Istanbul, Parisou Bruxelles, la conviction que l’éden est au bout du sacrifice motive les kamikazes…Mardi soir à l’aéroport d’Istanbul, un témoin, Oftah Mohammed Abdullah, a raconté avoir vu l’un des assaillants : « Il avait une veste courte et avait caché un fusil [dessous]. Il l’a sorti et a commencé à tirer sur les gens. Il marchait comme un prophète. » Le paradis, « c’est une adhésion existentielle », explique à l’Agence France-Presse le sociologue Farhad Khosrokhavar… « Ils y croient dur comme fer… Cette certitude leur donne une sérénité et une force extraordinaire. » « Certains ont dit que les tueurs du Bataclan [en novembre à Paris], par exemple, devaient être drogués pour être si calmes et déterminés. C’est faux. Ils n’en avaient pas besoin », ajoute-t-il. Des survivants du massacre dans la salle de concert ont raconté que les tireurs agissaient posément, calmement, parfois le sourire aux lèvres en mitraillant une foule sans défense. Après leur mort, des analyses de sang ont été effectuées : rien.
D’où leur vient cette croyance ? Comment leur est-elle inculquée ? Dans un reportage titré Soldats d’Allah, diffusé le 2 mai par la chaîne française Canal+, le journaliste Saïd Ramzi infiltre une cellule d’aspirants-djihadistes en France. L’émir du groupe, un jeune Franco-Turc se faisant appeler Oussama, lui décrit les joies qui les attendent à l’issue d’une mission-suicide qui n’aura toutefois jamais lieu. « Vers le paradis, c’est ça le chemin », lui murmure-t-il en souriant. « Viens, frère, on va au paradis. Nos femmes nous y attendent, avec des anges comme serviteurs. Tu auras un palais, un cheval ailé fait d’or et de rubis. »
En plus des délices de l’au-delà, les kamikazes sont certains que leur geste leur permettra d’ouvrir la porte des cieux à des dizaines de leurs proches, pour le salut desquels ils ont la certitude de se sacrifier…
Fragilité et psychiatrie… « Ces sujets se disent : Je suis délinquant, je vais passer pour le militant d’une cause et, de surcroît, il m’est promis un au-delà meilleur et durable. Non seulement je vais tuer des gens, des enfants, mais, comme c’est pour la bonne cause, je vais être récompensé. C’est l’inversion totale des valeurs. Ça relève aussi de la psychiatrie. » Le 13 juin, alors qu’il est cerné par la police dans la maison du couple de fonctionnaires de police qu’il vient d’assassiner en région parisienne, Larossi Abballa avait été jusqu’à filmer et mettre en ligne son testament. « Imagine-toi, ô musulman. Il te suffit de t’élancer, de mourir, et te voilà au paradis, avec ton prophète […] Quelle immense faveur ! » dit-il, lisant un texte préparé. « À ce moment-là, plus de soucis, plus d’épreuves. Seulement une jouissance sans fin ! »
Source : http://www.lepoint.fr/monde/l-illusion-du-paradis-le-moteur-des-kamikazes-29-06-2016-2050571_24.php
La théorie du complot est un marchepied à la radicalisation djihadiste
Journal du Dimanche- Alix Hardy – leJDD.fr – vendredi 10 juin 2016
Le sociologue Gérald Bronner s’est intéressé de près aux théories complotistes et à la radicalisation dans le domaine religieux et politique. Et les deux sont plus liés qu’il n’y parait. (Montage JDD) – Sectes, complots, radicaux politiques ou religieux : Gérald Bronner, auteur notamment de La démocratie des crédules (PUF, 2013) et La pensée extrême (Denoël, 2009), étudie les mécanismes de la pensée extrémiste sous toutes ses formes…
Vous étudiez les mécanismes de la crédulité, ce qui fait qu’on se met à croire ou pas à des thèses plus ou moins spectaculaires. Pourquoi certaines personnes croient-elles aux théories complotistes?
La théorie du complot est très séduisante. Il y a un effet de « réenchantement » quand on vous propose de découvrir l’envers du décor : c’est beaucoup plus excitant que la morne actualité. Savoir « ce qui se trame vraiment » donne l’impression d’être plus intelligent que les autres : cela donne une plus-value dans l’espace social. Vous avez l’impression d’appartenir à une aristocratie de la pensée, alors que les autres sont des « moutons » ou des « chiens de garde ». D’autre part, la théorie du complot permet de mettre en cohérence toute une série d’événements incohérents. On vous dit : « Tu crois que les attentats de Charlie Hebdo, c’est une coïncidence? Tu n’as pas vu qu’auparavant la France a voté pour l’existence d’un État palestinien? C’est bien sur l’État d’Israël qui a puni la France avec ces attentats. » Deux événements qui n’ont rien avoir l’un avec l’autre sont soudain liés et mis en cohérence dans une théorie. Comme si on levait le voile tout à coup, ce qui crée une grande satisfaction intellectuelle.
Pourquoi est-ce qu’on note un retour des théories du complot?
Pendant longtemps, ces argumentaires demeuraient confinés dans des espaces de radicalité. Quelqu’un qui avait un argumentaire anti-vaccin venait par exemple d’un environnement religieux, de la deep-écologie [un mouvement qui place la nature au dessus de l’humanité, NDLR] ou bien de l’extrême-droite. Ces porteurs de représentations-là n’étaient la plupart du temps pas autorisés à parler dans l’espace public de l’information. Aujourd’hui, les règles ont changé. Avec Internet, le marché de l’information s’est dérégulé : on peut désormais verser n’importe quelle information dans l’espace public. C’est la loi du plus fort : ceux qui sont motivés à faire valoir leur point de vue gagnent la bataille de la visibilité. Et les plus motivés sont les croyants, les militants et les porteurs de radicalité, car la radicalité est un indice de motivation. De sorte qu’on observe un marché qui nous fait confondre la visibilité d’un point de vue avec sa représentativité.
Croire aux théories du complot, c’est forcément être bête?
Non, pas du tout. Ce sont des théories sophistiquées par leur nombre d’arguments et la diversité des compétences qu’elles mobilisent. Ce n’est pas tant la théorie du complot qui implique un niveau d’études que le thème sur lequel elle porte. Selon la nature de la théorie, ce n’est pas le même type de public qui est intéressé. Les thèmes de l’extrême droite et les thèmes populistes en général trouvent apparemment plus facilement un écho chez les gens qui ont un faible niveau d’études. On sait aussi qu’en France ce sont les gens qui ont un faible niveau d’éducation qui votent FN. Et on sait par ailleurs qu’il y a un lien entre radicalité et extrémisme politique. Tandis que ceux qui invitent à la méfiance vis à vis de la science – les motifs écolos, les vaccins, l’empoisonnement – trouvent plus facilement écho chez les gens qui ont un niveau d’études plus important.
Savoir douter de ce qu’on nous dit, c’est plutôt une preuve d’esprit critique, non?
Et les théories du complot sont basées sur la mise en doute de la version officielle.
Nous avons droit au doute, mais tout droit implique des devoirs. Or, les conspirationnistes réclament ce droit sans s’acquitter de leur devoir. Qui est d’avoir une pensée méthodique et de respecter des règles de base : l’administration de la preuve de ce qu’on avance, ne pas confondre corrélation et causalité, ne pas admettre l’argument du cui prodest (« à qui profite le crime »). Supposez que je vous dise que les embouteillages profitent à ceux qui vendent de l’essence, et que c’est donc eux les responsables. L’argument est logiquement inacceptable. Bon, la ficelle est grosse, mais quelques fois c’est plus insidieux, comme ceux qui soutiennent que les attentats de Charlie Hebdo profitent à Hollande car il a bénéficié d’un rebond de popularité et il a pu promulguer des lois considérées comme liberticides.
Quel est le lien entre théorie du complot et radicalité politique ou religieuse?
Le lien entre théorie du complot et radicalité est tout à fait avéré [par une étude de chercheurs néerlandais publiée dans le Social Psychological & Personality Science journal]. Le complotisme est aussi un marchepied à la radicalisation djihadiste. Quand on y croit, cela suscite une telle indignation morale qu’il faut une révolution. Et une punition, car dans une lecture manichéenne, il y a des bons et des méchants, et il faut punir les coupables par la violence, car les autres détiennent déjà tous les autres pouvoirs. La radicalisation djihadiste offre une lecture inspirée par un thème victimaire, d’un monde musulman qui serait victime d’un complot du monde occidental visant à asservir les musulmans ou à créer une troisième guerre mondiale. Ceux qui pensent que les attentats du 13 novembre en France n’ont pas été réalisés par des terroristes se réclamant de l’islam pensent que le but était de provoquer une guerre des civilisations pour que l’Occident puisse enfin éradiquer l’islam comme, soi disant, il en a envie. Cela s’appelle la théorie du « combat de chiens ».
Comment est-ce qu’on glisse vers la radicalisation djihadiste?
C’est un processus incrémentiel, un escalier dont les premières marches sont petites. La conclusion de la radicalisation, c’est souvent des croyances tellement absurdes que si vous connaissiez ces croyances avant d’emprunter l’escalier, vous n’y croiriez pas et vous reculeriez tout de suite. Dieudonné, par exemple, a quand même fait des campagnes contre le FN dans les années 90. Qu’aurait pensé le Dieudonné de ces années-là du Dieudonné de 2016? Il n’aurait probablement pas cru qu’il allait devenir comme ça, parce qu’il n’aurait pas vu la somme des étapes qui l’ont conduit à un virage à 180 degrés. Les théories du complot sont souvent une première étape : avoir l’impression de vivre dans un monde où on nous ment. Imaginez un adolescent, par exemple, qui cherche de bonnes raisons de détester le monde des adultes : s’il découvre une proposition selon laquelle son malaise est dû au fait que le monde des adultes est mensonger et pas au fait qu’il est fragile psychologiquement parce qu’il se construit, il va être sauvé de lui-même. Il fera partie des élus qui détiennent la vérité. Dans les mouvements djihadistes, cela commence souvent comme ça : on te dit que Dieu t’a choisi et que tu as raison car le monde est un mensonge.
Comment fait-on revenir en arrière des personnes radicalisées?
Tout ce qu’on essaie à l’heure actuelle est encore expérimental. Si quelqu’un sait comment faire, qu’il le dise! Au niveau mondial, personne n’a encore réussi. Personnellement, je ne crois pas à la « déradicalisation ». Le lavage de cerveau n’a jamais existé. Tout ce que vous arrivez à faire, c’est priver quelqu’un de sommeil et le rendre un peu amnésique, voir lui provoquer des troubles psychologiques, mais il récupère son système de représentation. On ne déradicalise pas dans le sens où on ne peut pas retirer une croyance d’un cerveau. Ce que je veux faire, c’est essayer de redonner à ces individus le contrôle de leur esprit critique. S’il y a déradicalisation, c’est une autodéradicalisation. Ils vont s’éloigner, par l’excitation de leur pensée critique, au moins d’une adhésion trop radicale et inconditionnelle. Je ne parlerai à aucun moment de religion mais du fonctionnement de leur cerveau : comment il peut les tromper, comment certaines étapes de leur parcours intellectuel ont été en fait adossées à des erreurs de raisonnement. En leur apprenant à reconnaître ces situations, ils sauront qu’ils peuvent se tromper. Il suffit qu’ils doutent un peu pour redescendre beaucoup dans la radicalité.
Vous avez étudié les sectes et les extrémismes. Vous faites partie d’une mission interministérielle sur l’étude de la radicalisation. En quoi cela va-t-il vous servir concernant la radicalisation djihadiste?
J’ai été contacté par le préfet Pierre N’Gahane, qui est secrétaire général du CIPD [Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation, NDLR], pour rejoindre une mission interministérielle qui a été formée dans la foulée des attentats de Charlie Hebdo dans le but de prévenir la radicalisation. C’était d’abord pour donner un coup de main, puis c’est allé plus loin… A partir de septembre, je vais aller physiquement dans un centre de déradicalisation une fois par semaine, trois heures, pour être au contact avec trente profils radicalisés. Il y a beaucoup de proximité entre les sectes et le djihad, même si ce thème est critiqué. Il existe des invariants de la radicalité, quel que soit le thème – par exemple, le processus incrémentiel. Il y a des processus intellectuels similaires. Bien sûr, il ne faut pas se tromper de sujet. Il existe aussi des variables. Le djihadisme n’a rien à voir avec la secte bouddhiste ou les collectionneurs fous que j’ai étudiés. Les objets sociaux sont une hybridation entre invariants et variables. Donc pour moi, tout le débat entre radicalisation de l’islam et islamisation de la radicalité est un peu vain. Les deux sont vrais en même temps.
Sa fille en voie de radicalisation, un père témoigne de son calvaire
La Dépêche, le 21/03/2016 – Propos recueillis par St.B
Parcours chaotique d’une ado agenaise de 16 ans dont les parents craignent qu’elle puisse être embrigadée. Officiellement, 10 à 15 mineurs sont comme elle interdits de sortie du territoire en Lot-et-Garonne. Depuis la fin janvier, cette jeune Agenaise de 16 ans est interdite de sortie du territoire, pour six mois en théorie, pour «risque de radicalisation.» Son père témoigne.
Comment êtes-vous arrivé à la conclusion que votre fille était en voie de radicalisation ?
«Pour l’instant, elle est sur le fil du rasoir. Elle n’est pas encore radicalisée mais elle continue semble-t-il de se poser des questions sur le voile, l’islam. Elle n’a pas les réponses mais elle les cherche. Jusqu’au moment de notre arrivée à Agen (en 2015, N.D.L.R.), elle était déjà en état de fragilité psychologique(…) Depuis la fin de l’an dernier, une enquête de proximité menée par les gendarmes nous a alertés. Avant son départ du domicile vers un autre département elle fréquentait des délinquants mêlés à des trafics de stupéfiants. Elle a par ailleurs coupé les ponts avec son environnement proche, familial et autre.
Cet été, elle sortait avec un musulman, elle vivait avec nous et lui venait à la maison pour la voir, sans problème aucun. Depuis, elle a cassé avec lui pour se rapprocher de ces réseaux de délinquance. Elle ne mange plus de porc, demande des produits halal. Pendant trois mois de décembre à février, les gendarmes ont poussé leurs recherches. Elle possède au moins un autre profil Facebook. C’est après l’avoir consulté qu’ils nous ont conseillé de demander une mesure d’interdiction de sortie du territoire (…) On nous dit qu’elle peut basculer (…) elle est fragile, sans projet et déscolarisée (…). L’interdiction de sortie du territoire n’est qu’une mesure administrative, pour six mois. Vous pointez du doigt l’impact des réseaux sociaux…
«Elle possède un compte Facebook depuis l’âge de 13 ans. Avec sa mère, on avait fixé les conditions d’accès à ce réseau social. Elle ne devait avoir que des contacts que l’on connaissait. Les deux premières semaines, tout allait bien. Après, on a vu apparaître de nouveaux noms (…) on lui a dit qu’elle avait enfreint les règles. Elle a eu dans les premiers mois des contacts au Maroc, en Tunisie, entre autres. Elle posait des questions sur le port du voile, on lui répondait. Elle a été invitée à partir là-bas pour découvrir que les femmes étaient soi-disant libres.
Elle ignorait de toute évidence le danger. C’est le temps de la première fugue. Ensuite, il y a eu un contact avec une nouvelle amie, en difficulté comme elle. Les ponts ont été coupés, par ses parents à elle. C’est à ce moment que j’ai fait le choix de pouvoir consulter ses conversations sur internet. Elle n’a que 14 ans, et c’est alors la 2e fugue, la rencontre avec une mineure qui porte le hijab (…) Sans ce dispositif, je n’aurais pas su qu’elle voulait se rendre à Paris pour rejoindre sa copine, puis dans le sud-est. Les réseaux sociaux sont un moyen de recrutement de jeunes en difficultés qui peuvent par exemple servir de mule pour les trafics mais pas seulement…
Que dites-vous aux parents qui peuvent être confrontés à ce que vous vivez ?
«Je leur dis que le danger vient autant par les réseaux sociaux que par les rencontres. Je leur dis aussi qu’il faut anticiper et se renseigner sur les moyens mis à leur disposition. Ils doivent en parler, signaler leurs doutes auprès des services compétents…Il existe aussi des numéros d’appels spéciaux (*)…au travers de notre expérience, on ne peut que regretter qu’il n’existe pas de «tuilage» entre les différents services, les informations ne sont pas forcément mises en commun. J’en veux aussi aux services sociaux car il n’y a rien eu, ni éducateur, ni placement provisoire, le conseil départemental a refusé notre demande d’AEF, l’action éducative familiale. Un placement provisoire peut protéger un enfant s’il est extrait du cercle familial par sa volonté ou par obligation… Nous, nous avons et c’est une chance pu compter par exemple sur la Maison des ados dont le soutien a été précieux, pour l’écoute comme pour l’aide à la parentalité.»
(*) Le 119 et le 0 800 005 696 « stop-djihadisme ».
PARENTS DE DJIHADISTES BELGES : LA TORTURE AU QUOTIDIEN
Paris Match, N° 751 du 28 janvier au 3 février 2016
Les jeunes Belges embrigadés par l’État islamique pour défendre des idéaux chimériques sont nombreux à avoir quitté le pays. La mort était, pour beaucoup, au bout du voyage. Des parents d’enfants disparus sur le terrain syrien ont accepté de nous rencontrer… Ils sont catholiques, agnostiques, bouddhistes ou musulmans. Leurs fils sont tombés au «front», sauf un, encore en vie, croit-on. Ils reviennent sur ce cauchemar collectif avec un mélange de candeur assumée et de détermination, écartelés entre douleur, regrets et interrogations. Ils sont partis pour ce qu’ils voyaient comme une grande cause, ils sont partis pour un miroir aux alouettes: une pseudo-liberté qui les délivrerait des formalités administratives et des visions creuses d’un Occident pourri, disaient-ils, par l’ultralibéralisme.
Un Occident dépouillé de ses valeurs initiales, vidé, à leurs yeux, de spiritualité. Ils sont partis pour donner un sens à leur vie, pour exister… Quelle qu’ait été leur formation, leur milieu, la religion familiale, ces gamins ont de nombreux points communs: ils ont été élevés par un parent seul, loin de pères qui reconnaissent, pour certains, n’avoir pas été suffisamment présents. Ils se sont convertis tôt, ont commencé à respecter assidûment certains préceptes du Coran qu’ils ont aussi malmenés, déformés.
Ils ont arrêté de boire, de fréquenter des filles. En toile de fond à ce décrochage, on retrouve les classiques difficultés à trouver un emploi, la perte des repères, l’effet de groupe, une fragilité psychologique indécelable à l’œil nu, un désarroi dont les proches n’ont pas mesuré l’ampleur…
Le résultat est là: tous ont mis les voiles en douce. Ils sont partis en Syrie. Sont tombés au combat. L’un d’entre eux a disparu. Leurs parents ne cessent de s’interroger, tentant de comprendre et de redorer le blason de ces brebis égarées, en quête d’identité. La plupart ont eu peur de parler aux autorités, de trahir les enfants. Comme d’autres avant eux, ils ont eu ce sentiment de livrer leur progéniture en pâture. Ces parents blessés appellent chaque jour à la compassion et l’affirment avec foi: leurs fils sont des djihadistes, pas des terroristes. EJ.
ILS EN SONT CONVAINCUS : LEURS FILS ONT ETE AVEUGLÉS PAR UNE SENSATION DE LIBERTÉ ET « UN COMBAT POUR UN MONDE MEILLEUR»
PAR EMMANUELLE JOWA
Géraldine Henneghien est belge, convertie à l’islam. Son fils, Anis, est mort en Syrie. Elle a les yeux bleus, une allure décidée qui cache mal une douleur sans nom, de celles qui fragilisent à vie…elle nous dit d’emblée qu’elle et ses pairs ne sont pas des «mères de terroristes ». Géraldine s’est transformée, au fil du temps, en porte-parole d’un groupe de familles déjeunes disparus sur le terrain syrien. Des parents de djihadistes disparus en Syrie. Entre deux appels du Washington Post ou d’Al Jazeera…, elle nous présente au compte-gouttes d’autres familles de jeunes djihadistes. Son caractère décidé et ses talents de polyglotte l’ont amenée à gérer les relations publiques de ce groupe informel. Elle est méfiante. « Nous avons changé plusieurs fois d’adresse mail», nous dit-elle. «Nos comptes ont souvent été piratés.»
L’association porte l’appellation de «Parents concernés»… «Vous devez être fiers de votre fils. Il s’est battu comme un lion et ici, on est tous choqués de son départ. A lui seul, il a fait fuir cinquante soldats.». Ce sont les premiers mots de ce SMS que Géraldine a reçu d’un jeune Molenbeekois, parti combattre lui aussi. Dans ce message, il lui annonce la mort de son fils, Anis. Tué le 23 février 2015 à Deir Ezzor, lors d’une frappe aérienne de la coalition internationale. Avant son départ en 2014, Géraldine avait signalé aux autorités belges qu’elle craignait qu’il rejoigne la Syrie. Elle n’a pas été entendue : il est majeur, lui a-t-on répondu.
Catholique – Véronique Loutea la soixantaine. Chrétienne de conviction, formatrice sociale de métier… est aujourd’hui retraitée après une carrière de quarante ans « dans le handicap » comme elle dit…Son fils, Sammy, 23 ans, parti pour la Syrie en novembre 2012, n’est pas revenu. A sa connaissance, il n’est pas mort. Cela fait deux ans que Véronique l’attend. Sammy a profité d’un bref séjour de sa mère en Allemagne pour s’envoler. «Avant mon départ, il m’a embrassée tranquillement. C’est la dernière fois que j ‘ai vu mon fils.» Derrière lui, Sammy a laissé à Véronique un Coran et un livre sur le dialogue chrétien-musulman. « Il m’avait parlé de voyager en terre musulmane mais je lui avais dit alors qu’un projet s’imposait ». Sous couvert, dans un premier temps, d’aide humanitaire à la frontière turque, Sammy s’engage dans la lutte contre l’armée syrienne qui écrase alors les troupes révolutionnaires. Le djihad est devenu son projet. Depuis, sa mère ne vit plus que pour retrouver la trace de ce fils qui s’est dissous dans une voie impalpable…
Bouddhiste – Oliviera une quarantaine d’années, une silhouette juvénile et le regard triste. Peu loquace au départ, cet ancien imprimeur converti au bouddhisme intervient par bribes dans la conversation pour nous narrer son histoire, non sans réticences… D’emblée, il nous dit ceci: «Dites, s’il vous plaît, que nos fils étaient des garçons bien. Sean, le mien, a toujours gardé ce regard bienveillant. Il s’est laissé porter par ses idéaux, point », martèle ce père… Son fils, Sean, mort au combat, est le premier du groupe à être parti pour la Syrie, avec celui de Véronique. C’était fin octobre ou début novembre 2012, racontent ces parents aux traits défaits. Dévorés par l’angoisse et le regret.
Des enfants du divorce – Véronique, divorcée, a élevé son fils dans un esprit « chrétien », ouvert, généreux. La vocation humanitaire, son clan l’a dans le sang. Mais elle admet, en tant que femme seule, avoir eu peu de temps à consacrer à l’éducation de son fils, à son «suivi». Il s’est converti à l’islam, elle n’y a vu qu’un choix profondément spirituel, une vision altruiste. Une façon aussi, sans doute, de se démarquer du contexte familial. Elle ne s’est pas étonnée outre mesure de l’envie d’engagement soudain de Sammy… Les parents que nous rencontrons ont entre autres ce point commun: ils sont séparés. «La maman de Sean est métissée, née en Belgique de mère africaine et de père russe. Sean était quarteron », dit Olivier en nous montrant, très ému, une photo de son fils… « Lorsque Sammy a annoncé sa conversion, il vivait avec son père, qui était farouchement opposé à la religion musulmane », explique Véronique. « Le père de Sammy est ivoirien. Il est professeur de maintenance informatique.»…
«Mon ex-mari a souffert des différences entre nord et sud en Côte d’Ivoire. Dès lors, il ne voulait pas que son fils devienne musulman. Le père de Sammy et moi nous nous sommes quittés, sans fracas ni douleur, pour des raisons personnelles. Mes enfants savaient que j’allais quitter leur père. Entre Sammy et lui, ça n’allait plus. Comme ça devenait très « chaud » à la maison et que mon fils n’avait pas les moyens de partir, je lui ai loué un appartement. Je me suis installée à Saint-Gilles… Sammy qui, au départ, vivait avec moi avant de voler de ses propres ailes, a entamé sa conversion vers 2004. II avait alors 16 ans. Mais peut-être l’avait-il amorcée plus tôt dans sa tête.» Entre 2004 et 2012, le jeune homme poursuit son chemin de foi. «Durant toutes ces années, il y a eu une évolution progressive que je percevais. Il s’éloignait de nous.»
Du hip-hop à la mosquée – A Laeken, Sammy et Sean étaient des copains de quartier. Ensemble, ils faisaient du hip-hop et fréquentaient une maison de jeunes. Ensemble, ils se sont trouvés, à un moment donné, un peu désœuvrés. « Sean a exprimé alors un rejet profond de la société de consommation », commente son père Olivier. Le piège de l’Etat islamique s’est refermé sur ces garçons qui aspiraient, selon plusieurs parents, à bousculer les idées reçues. Ils ne se sentaient ni acceptés, ni prêts à affronter le monde extérieur et ces barrières administratives qui se mettaient sur leur chemin – la recherche d’emploi, notamment, et sa cohorte de formalités…Les parents évoquent en vrac les déceptions, les espoirs détruits. «Sammy avait le sentiment de n’avoir aucun avenir», raconte Véronique…Le déclencheur varie, la vitesse du basculement aussi. Mais certains points communs sont là pour démontrer que les processus de «radicalisation» sont tout de même sensiblement identiques. Il y a des indices que les familles doivent apprendre à reconnaître. Les fils de celles que nous entendons ont, en règle générale, commencé à se vêtir différemment, à fréquenter la mosquée avec zèle. Ils ont arrêté de boire, de voir des filles. Ils étaient célibataires. Presque endurcis. Une forme d’exaltation, un excès de prières, une rigueur soudaine ou progressive, une intransigeance envers les valeurs inculquées…Ces signes ne sont que de simples indices et ne permettent pas les conclusions hâtives.
L’évolution de Sammy englobe, comme chez les autres, des changements vestimentaires, une forme d’austérité générale. «Sammy n’a jamais bu un verre de vin ni une bière.» Cette rigueur surprenante pour un jeune n’a-t-elle pas interpellé ses parents? «Je ne m’en préoccupais pas », répond Véronique. Le garçon, amateur, comme tous les gamins de son âge, de jeux vidéo et fan à ses heures des Tortues Ninja, portait en lui, depuis longtemps, une propension à la spiritualité. «A l’âge de 7 ans, il m’avait demandé s’il pouvait se faire baptiser dans l’Eglise catholique, poursuit sa mère. Un professeur l’en avait convaincu. Il fréquentait un pensionnat catholique. Mon mari à l’époque ne pratiquait pas et, bien que catholique moi-même, je souhaitais laisser à mes enfants le choix d’être baptisés ou non. Sammy s’est fait baptiser à Pâques, l’année de son septième anniversaire…En cinquième année d’humanités, il m’a dit qu’il voulait changer d’école. Il a demandé mon accord pour rejoindre l’athénée et suivre les cours de religion islamique. Il s’est converti.»
Le piège caritatif – Début 2012, Sammy s’immerge dans la religion musulmane, fait le ramadan et ses prières cinq fois par jour. Il se laisse pousser la barbe, n’assiste plus aux réunions familiales, «parce qu’on n’y mange pas halal». Il remplace l’écoute des infos par des prêches à la radio. « Certains proches m’ont demandé comment je pouvais me plier à ça », poursuit Véronique, «mais j’avais à cœur, une fois encore, de lui laisser la liberté de culte… Petit à petit, j’ai vu Sammy changer. Il s’est éloigné du milieu familial. Son habillement s’est modifié. Il a porté la djellaba d’abord rentrée dans le pantalon, ensuite au-dessus du pantalon. En revanche, il a gardé une coiffure courte el n’est pas, du moins à ma connaissance, passé à la barbe. » – Le détonateur de l’embrigadement, pour Sammy, a pris la forme d’une action humanitaire. «Un jour, il me dit: « Voilà, maman, je vais distribuer de la nourriture aux pauvres’. ‘J’étais fière de lui, comme toutes les mères l’auraient été en pareilles circonstances… Il a entamé cette démarche avec Jean-Louis Denis. Je ne connaissais pas ce nom mais aujourd’hui, j’en veux énormément à ce personnage qui a fait du mal à beaucoup de jeunes, Sammy était ainsi bénévole au Resto du Tawhid, l’association qui distribuait des repas aux SDF autour de la gare de Bruxelles-Nord, tout comme Sean et les autres (NDLR: menée par Jean-Louis Denis, dit «le soumis», soupçonné de faire partie de Sharia4Belgium et inculpé pour terrorisme, l’association avait mis en place ces distributions de repas qui étaient le prétexte à des recrutements). Ces actions prétendument en faveur des pauvres étaient l’antichambre de la radicalisation. On appâtait les jeunes, on les rassemblait, on leur faisait un lavage de cerveau.
Quand mon fils est parti, je suis tombée dans un gouffre. Sammy avait appris l’arabe un an avant de partir…». Véronique admet aussi avoir, en ressassant les axes qui auraient pu conduire son fils vers la voie obscure, soupçonné ce professeur d’arabe qu’elle n’a jamais rencontré d’avoir influencé Sammy… Parmi les jeunes qu’ils fréquentaient dans le quartier, un groupe a eu un accident de voiture. L’un d’entre eux est mort. Sean a commencé à prier pour lui, il s’est rendu dans la mosquée de quartier. Il dit avoir eu une révélation avec l’islam. Il s’est converti très vite et s’est intéressé de plus en plus au Coran. Cette révélation s’est accentuée en trois ans. C’était un sujet de discussion à la maison. Les deux premières années, ça se passait très bien.
C’est à partir de la troisième année que j’ai vu des changements, je me suis rendu compte qu’il s’était un peu fermé. C’était fin 2010-début 2011. Sammy, de son côté, était déjà converti…» – Sean poursuit sa grande mutation en passant par quelques paliers. «Il était fusionnel avec sa maman. Elle a remarqué des variations de comportement, l’a trouvé plus distant.» Lejeune homme modifie son alimentation, prie de plus en plus souvent. Sa quête spirituelle le fait évoluer. Il sort moins, n’écoute plus beaucoup de musique alors qu’il a passé sa prime jeunesse à danser. Il a de nouvelles fréquentations, notamment au Resto du Tawhid. «Il a fait un pèlerinage à La Mecque l’été dernier», raconte encore son père. « Il était très fier, il voulait vivre sa foi à fond. C’était important pour lui et ça semble avoir été un détonateur.
Dès son retour, il portait tous les jours sa djellaba. Son attitude a changé, il était dans une sorte de repli sur soi. Avant, il travaillait avec moi sur des chantiers de peinture, de décoration d’appartements pour gagner un peu d’argent. Et puis il a communiqué de moins en moins. Il n’est plus allé au cinéma, ni au restaurant. Il a arrêté le hip-hop. Bien sûr, je l’ai trouvé un peu sérieux, mais je me suis dit que je n’allais pas l’embêter avec ça. Ces éléments étaient importants, je m’en suis rendu compte par la suite, mais sur le moment, je n’ai pas senti le danger. Ces jeunes se cherchaient une identité grâce à l’islam, probablement parce qu’ils n’avaient pas vraiment d’avenir ici. Je regrette de n’avoir pas mieux décelé ces signes…»
Mariages de « luxe» versus fidélité – «Sean a été élevé dans la morale laïque», poursuit Olivier. «Il s’est converti à l’islam vers 14 ou 15 ans. Moi-même, je me suis converti au bouddhisme vers l’âge de 25 ans. J’en ai aujourd’hui 46. Mon ex-épouse, qui avait la garde de Sean durant la semaine, a épousé un homme musulman non pratiquant. Cela pourrait expliquer le fait que Sean s’est ouvert à une religion plus qu’à une autre…
Selon ce père meurtri, il peut apparaître plus simple à ces jeunes de convoler sur place. Une question de respect des traditions, d’épouses plus «malléables»? «Je ne pense pas que nos fils aient ou aient eu l’idée d’une femme soumise, mais plutôt l’envie de rencontrer une femme épanouie au sein de leur croyance, et fidèle. Le mot « fidélité » joue un rôle clé dans l’esprit de ces jeunes…» – Le jeune homme critiquait, dit son père, la vénalité des jeunes filles qu’il rencontrait en Belgique. «Un jour, Sean m’a dit : « Les femmes marocaines veulent des bons mariages, des mariages à 6000 euros, et ça n’a plus de sens dans l’église. Le mariage est une union sacrée. »
La femme marocaine était devenue presque une mécréante à leurs yeux. Je pense qu’ils ont recherché la sécurité affective à travers leur religion… » On leur propose aussi un certain code d’honneur, si je puis dire. Les jeunes qui partent ont le sentiment, paradoxalement, d’être en quelque sorte emprisonnés ici…» – Ces jeunes en quête de liberté semblent rechercher une structure. L’islam leur donne, en apparence, des règles basiques, une vision des choses qui, lorsqu’elle n’est pas approfondie, peut être vue en deux couleurs, noir et blanc. Simple, efficace, tentant…Les parents que nous rencontrons voient que la religion apportait à leurs enfants, au-delà d’un regain d’estime de soi, un sentiment de supériorité. Ce dernier peut réduire la capacité d’esprit critique et de lucidité. Le fils d’Olivier est mort il y a trois ans (…)
Enquête sur la « génération Daech »
04/12/15 – Le Vif/l’express, Soraya Ghali, François Janne d’Othée.
L’explication qui dominait jusqu’ici – misère sociale, rejet par la société occidentale – est de plus en plus contestée. La majorité des jeunes partis d’ici pour devenir djihadistes seraient plutôt animés par une soif de révolte. Aux accents nihilistes.
Sa bouille juvénile est apparue partout, sur une photo qui a fait le tour du monde : une barbe naissante, le doigt levé, extrêmement déterminé. Bilal Hadfi, « Billy du Hood » (« de la rue ») dans sa vie numérique, était le plus jeune terroriste identifié des attentats de Paris : 20 ans, cadet d’une fratrie de quatre, ayant grandi dans une cité bruxelloise. Le 13 novembre, il s’est fait exploser à proximité du Stade de France. Autrefois timide et fumeur de joints, il s’est progressivement radicalisé. Ses proches racontent qu’au printemps 2014, la Palestine, d’abord, puis la Syrie, ont pris une part plus importante dans ses discussions et que son vocabulaire est devenu plus guerrier et religieux.
En février de cette année, Bilal est parti en Syrie. Comme Sean Pigdeon et Samy, qui avaient rejoint l’Etat islamique en novembre 2012, avec trois amis de leur quartier de Laeken, dans le nord-ouest de Bruxelles… En Belgique, selon les derniers chiffres communiqués par le procureur fédéral, sur 494 djihadistes belges partis en Syrie et en Irak, l’immense majorité appartient à la communauté d’origine marocaine ou sont des convertis. Actuellement, 272 se trouvent en Syrie, 13 sont en transit vers cette destination. Les autres sont rentrés ou morts. Beaucoup d’hommes, issus de la deuxième génération surtout, une cinquantaine de femmes et une trentaine de mineurs…Ils n’avaient rien de l’apparence d’une bande de salafistes. Les frères Abdeslam ? Des petits caïds, vendeurs de shit, noceurs, connus pour des délits de droit commun. Abdelhamid Abaaoud ? Fils d’un commerçant de vêtements plutôt aisé, lui aussi fumeur de shit, buveur d’alcool, glandeur, auteur de larcins divers.
Un tel paradoxe semble donner raison à Olivier Roy, directeur de recherche et professeur à l’Institut universitaire européen de Florence : ce sont les musulmans « born again » et surtout les convertis – un quart des partants – qui livrent une première clé d’explication. « Ils montrent, dit-il au Vif/L’Express, qu’il ne s’agit pas de musulmans radicalisés mais de radicaux islamisés… Qui concerne aussi des candidats n’ayant jamais souffert du racisme et avec peu de raisons de s’identifier à une communauté musulmane. » L’analyse qui domine – la misère affective et sociale, l’emprise sectaire et le recrutement via le Web – ne serait donc plus la plus pertinente pour vraiment comprendre l’enrôlement djihadiste. »
On perçoit ces jeunes comme des victimes d’un simple endoctrinement et de rabatteurs du djihad, mais c’est un faux discours », estime Serge Garcet, docteur en psychologie et directeur du service de victimologie de l’ULg. « C’est leur nier la capacité de poser des choix.
Ces jeunes revendiquent leur identité radicale. Ce sont eux qui vont chercher sur les sites ce qui renforce cette identité.
Ils sont volontaires lorsqu’ils partent. Ils ne sont pas manipulés. Ils étaient en attente, »prédjihadistes » avant même de rencontrer l’offre djihadiste. » …On le voit dans le réservoir européen de l’Etat islamique : les nouveaux djihadistes font partie d’une même génération, ou plutôt d’une même tranche d’âge : 23 ans en moyenne. Ils sont aussi ce que les psychanalystes appellent des « post-adolescents » : à l’image des Abdeslam – 31, 29 et 26 ans -, qui habitaient encore chez leurs parents, collés les uns aux autres
Mais, comme les convertis d’ailleurs, ils rompent avec leurs parents, « ou plutôt avec ce que leurs parents représentent en termes de culture et de religion », écrit Olivier Roy dans son dernier ouvrage (1)… « Pour la plupart d’entre eux, ils sont totalement autodidactes en matière de religion. Ils ne comprennent pas l’arabe, ne l’apprennent pas… ils choisissent l’islam radical et tentent en vain d’y convertir leurs parents. C’est-à-dire un islam fondé sur le fantasme d’une oumma (« communauté ») planétaire, homogène mais attaquée et qu’il faut sauver corps et âme. Un islam qui sépare le licite de l’illicite, la vérité du complot. « Ils se tournent vers quelque chose qui n’est pas leur point de départ… Car ils ne veulent ni la culture de leurs parents ni d’une culture »occidentale », devenues symboles de leur haine de soi », souligne Olivier Roy…Ils sont mal intégrés dans la communauté musulmane…Une fois radicalisé, un chef de bande peut ainsi se muer en gourou, en pseudo-émir autour duquel se rassemblent des émules plus ou moins proches : frères, copains… et basculent collectivement dans l’action… »Le passage à l’acte est facilité par le passé de petit délinquant. Ces jeunes ont déjà reconstruit leur cognition mentale et modifié leur neutralisation morale : ils ont volé, agressé…
L’autre n’existe déjà plus », relève Serge Garcet. Et pourquoi Daech ? Selon Olivier Roy, parce que l’Etat islamique offre à ces « jeunes paumés de la mondialisation » fascinés par la mort, un sens, une cause, un vrai terrain où ils peuvent se réaliser, un récit d’héroïsme et la garantie de faire la Une dans les médias…Souvent, cela se cumule avec un héroïsme et un désir de martyre qui les libère du souci de se protéger, et leur prouve à eux-mêmes leur supériorité morale par rapport à une société qui a peur de mourir, alors qu’eux acceptent d’aller jusqu’au bout de leur idéal… »
Pourquoi pas les Turcs ? …La communauté turque, qui représente un peu plus de 200 000 individus…on observe très peu d’engagement au martyre. Pourquoi ? Selon Coskun Beyazgül, directeur général de la Diyanet de Belgique, la très officielle « église » musulmane turque, un point essentiel se situe dans la frustration historique et postcoloniale, que les Turcs n’éprouveraient pas. Le djihadisme s’appuie en effet sur un « idéal islamique blessé ». La notion recouvre une certaine réalité historique du monde musulman au début du XXe siècle : la fin du dernier empire (ottoman), l’abolition du principe de souveraineté du califat, le dépeçage des territoires par les puissances coloniales. Les musulmans passent de la position de maîtres à celle de subalternes chez eux. Ça ressemble à l’humiliation du traité de Versailles pour l’Allemagne…D’où le but de Daech de reconstituer l’Etat islamique impérial », déclare Coskun Beyazgül. Il semble bien que la communauté marocaine se révèle plus poreuse à l’idée d’un islam blessé… Des familles entières sont parties pour réinstaurer un califat », rappelle Hassan Bousetta.
Si la communauté belgo-marocaine est durement touchée par les départs, ce serait aussi parce qu’elle serait devenue plus perméable au wahhabisme et au salafisme. Pour le ministre Rachid Madrane (PS), « le péché originel, en Belgique, a été de confier les clés de l’islam en 1973 à l’Arabie saoudite pour s’assurer un approvisionnement énergétique ». Résultat : la pratique de l’islam apaisé qui était celle des personnes qu’on a fait venir du Maroc, a été infiltré par du wahhabisme, du salafisme. « C’est ça qu’on paie aujourd’hui. » En Belgique, cette mouvance est soutenue par la présence d’imams et de conférenciers formés à Médine, en Arabie saoudite, par le développement Internet et par des chaînes satellitaires relayant le discours des prédicateurs salafistes, et depuis peu, l’ouverture par exemple de centres de formation aux sciences islamiques…
(1) En quête de l’Orient perdu, Entretiens avec Jean-Louis Schlegel, par Olivier Roy, Seuil, 288 p.
(2) Radicalisation, par Farhad Khosrokhavar, éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, coll. « Interventions », 191 p.
Les croyances apocalyptiques au coeur de l’action des djihadistes
16 novembre 2015, Daniel Baril
Les croyances évangéliques de George Bush ont été apportées comme justification à sa guerre en Iraq. Il fallait éliminer le grand Satan incarné en Sadam Hussein et entrainer la chute de Babylone (Bagdad), un évènement annonciateur de l’Apocalypse. Il ne s’agit pas là d’une diabolisation de la politique guerrière de Bush… Préparer le retour du Christ n’était évidemment pas le premier motif de la guerre en Iraq, mais la croyance religieuse de Bush a contribué, à ses yeux et à ceux de millions d’Américains, à en légitimer l’exercice. Bush affirmait lui-même recevoir ses ordres de Dieu (lire aussi cet article de Rodrigue Tremblay: Bush, la droite religieuse et la fin des temps; ces fous qui préparent l’Armageddon.)
Cette croyance apocalyptique est également au coeur de l’action de l’État islamique. Dans un ouvrage paru en septembre dernier (The ISIS Apocalypse), l’analyste politique et spécialiste de l’islamisme Will McCants met en évidence le recours à la croyance apocalyptique pour fouetter l’ardeur des combattants de l’État islamique. Dans une entrevue accordée au Huffington Post USA (traduite ici) il souligne que:
«[la guerre en Irak] et la violence qui s’est ensuivie se prêtaient à un mode de pensée apocalyptique, notamment parce que ces prophéties évoquent d’énormes bouleversements et violences en Irak et en Syrie. Daech et son prédécesseur, Al-Qaïda en Irak, ont vraiment joué la carte de l’apocalypse. Cela leur servait à la fois à appréhender ces bouleversements et à rallier des combattants étrangers à leur cause. […] Quand Daech est née, en 2006, le juge suprême du groupe à l’époque a déclaré qu’ils avaient la conviction que l’arrivée du sauveur musulman, le Mahdi, était imminente, et qu’il était nécessaire de créer un Etat islamique afin de l’aider à combattre les infidèles. […] Plus tard, [Daech ] s’est mise à évoquer l’apparition du califat et sa refondation comme un accomplissement des prophéties.»
Il y a plus d’un an, le politologue français Jean-Pierre Filiu mettait le doigt sur le même élément de l’idéologie djihadiste: «A la différence d’Al Qaeda, la base de l’EI, à défaut de sa hiérarchie, est portée par des croyances millénaristes à l’impact dévastateur. On a désormais des dizaines de témoignages de «volontaires» étrangers de l’EI qui révèlent leur angoisse, mais aussi leur exaltation à l’approche de la fin des temps. […] C’est même un argument martelé pour inciter à rejoindre sans tarder les troupes du «calife» Baghdadi, car la participation à cette Bataille vaudra mille combats moins auréolés de gloire eschatologique.» (L’Etat islamique ou les chevaliers de l’apocalypse djihadiste). Même analyse présentée par le chroniqueur de France24, Wassim Nasr, spécialiste des mouvements jihadistes (L’Etat islamique est dans une logique apocalyptique)…
Selon Jürgen Todenhöfer, le seul journaliste occidental à être revenu vivant d’un séjour dans les zones contrôlées par l’ÉI. L’apocalypse n’est pas une figure de style. Les djihadistes sont même prêts à recourir selon lui à l‘holocauste nucléaire pour éliminer, si nécessaire, 500 millions d’«infidèles» … Ça donne froid dans le dos quand on sait que le Pakistan sunnite dispose d’armes nucléaires, un arsenal appelé là-bas «bombe islamique». Baghdadi réussira-t-il à réaliser la «prophétie» là où Bush a échoué?
Le groupe armé État islamique est un pur produit de la guerre de George W. Bush contre l’Iraq, une guerre menée sous des prétextes honteusement mensongers. Tout comme les Talibans doivent leur réussite au soutien américain pour déloger les Russes de l’Afghanistan et que le régime des ayatollahs en Iran doit son avènement au soutien des Russes pour renverser le Chah, allié des États-Unis. Malgré ces désastres, l’Europe et les É.U. ont poursuivi sur la même lancée en voulant renverser Bachar Al Assad, encore sous de faux prétextes. Cette fois, on invoque la violation des droits humains en Syrie pour mettre la main sur ce pays riche en pétrole et allié de la Russie…
Aude: ils terrorisent les passagers d’un TER aux cris d' »Allah Akhbar »
Le Midi Libre, 19.11.2015, FRANCOIS BARRERE .
Six jeunes arrêtés par les gendarmes après avoir contraint un train à stopper à Salses-le-Château.
Six jeunes ont été arrêtés dans la nuit de mercredi à jeudi par les gendarmes de la compagnie de Rivesaltes après avoir terrorisé les passagers d’un TER, en hurlant des menaces de morts et en criant « Allah Akhbar » dans le système de haut-parleurs du train. La scène s’est produit aux alentours de 22 h mercredi soir, aux alentours de Narbonne, dans ce train qui circulait entre Avignon et Perpignan, et dans lequel se trouvaient à ce moment-là une trentaine de passagers. « Les jeunes ont menacé de mort les voyageurs, en leur ordonnant de déposer leurs téléphones portables au sol, et en criant : « Sinon on va vous tuer » a indiqué une source proche de l’enquête. Le contrôleur du train a réussi à regrouper les passagers apeurés dans une même voiture, et a prévenu les gendarmes, qui sont intervenus lorsque le train s’est arrêté d’urgence à la gare de Salse-le-Château. Là, deux jeunes filles faisant partie du groupe de perturbateurs ont été interpellés, pendant que les quatre garçons parvenaient à prendre la fuite. Ils ont toutefois été rapidement identifiés et interpellés dans la matinée. Ils sont depuis en garde à vue chez les gendarmes.
Des mamans de jeunes radicalisés : « Nos enfants ont été volés par une secte »
le 26 novembre 2015 , RTL info.
Bernard Lobet, journaliste pour Bel RTL, a recueilli des témoignages de mamans dont les enfants sont partis en Syrie. Le 20 mai 2013 la vie de Samira bascule. Sa fille Nora part en Syrie. Dans une lettre d’adieu laissée à sa maman, Nora écrit ceci: « Je t’aime à la folie maman, mais j’aime Allah avant tout ». Samira réagit: »On aime tous Allah au dessus de tout, mais Allah a dit, les parents d’abord. » Quatre jours plus tard la maman a rendez-vous dans un cyber café et là le choc, sur l’écran un couple qu’elle ne reconnaît pas. « Il y avait un type avec lequel elle était mariée et elle portait la burqua. Je lui ai dit: « S’il te plaît, montre moi ton visage que je puisse être sûre que c’est toi. Elle a ensuite levée son voile et je l’ai reconnue. Elle était bien en Syrie »…
Deux semaines plus tard, nouveau coup de fil. « Elle m’a dit: « Maman, je dois te dire quelque chose ». Je lui ai dit: « Mais qu’est ce qu’il y a? ». J’étais en pleurs. Et là, elle m’a répondu que son mari nous avait quittés et qu’il était mort en martyr et qu’il ne fallait pas pleurer. Il fallait être fier. »…Une autre maman, prénommée Malika témoignait également ce matin dans le journal de Bel RTL. Le fils de Malika est parti en Syrie en 2013. C’était pour des raisons humanitaires avant l’installation de Daesh. « Nos enfants n’ont pas été radicalisés mais volés, par cette secte qui a endoctriné nos enfants….. » Le dernier contact téléphonique avec son propre fils était il y a un mois et demi. « On ne parle pas de ce qu’il se passe là-bas. C’est pas une chose à aborder », déplore Malika.
Une de ses amies, une autre maman dont le fils est mort en Syrie parle du fils de Malika: « Même si son fils a changé et qu’il n’est plus radical, il n’a plus d’autre choix que de rester en Syrie. Ceux qui reviennent c’est ceux qui sont disposés à faire quelque chose. Mais ceux qui veulent venir mettre à l’abri leurs enfants et leur femme, ils n’ont pas la capacité de le faire », déplore cette amie.
La Libre Belgique, 10 octobre 2015, mis à jour le 13 octobre. Dorian de Meeûs
Islamologue et chercheur associé à l’Observatoire du religieux, Rachid Benzine enseigne à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence ainsi qu’à l’UCL. Ce Franco-Marocain fait partie de cette nouvelle génération d’intellectuels qui prône un travail critique et ouvert sur le Coran à l’aune des outils issus des sciences sociales. Auteur de « Les Nouveaux penseurs de l’islam » et « Le Coran expliqué aux jeunes »…Dans le Coran, on retrouve des versets particulièrement violents. Êtes-vous d’accord avec les intellectuels qui préconisent une réinterprétation de ce texte sacré ? …Concrètement, ce sont les croyants de chaque époque qui font parler les textes et qui leur donnent du sens en fonction de leur époque et de ses enjeux. Des croyants habités de pulsions violentes prendront les passages qui les intéressent pour satisfaire leurs pulsions, alors que les pacifistes prendront les passages pacifiques…Finalement, chaque croyant proclame sa propre vérité et la jugera comme seule valide.
Que répondez-vous à ceux qui dénoncent « les violences inhérentes à l’islam » ?
Le problème est qu’en dehors d’une approche qui historicise les textes, qu’ils soient dans le Coran ou l’Ancien testament, ceux-ci peuvent être pris pour argent comptant dans un contexte de crise, de frustration et de violence comme aujourd’hui. Il ne faut surtout pas parler d’une violence inscrite dans l’islam. En quinze siècles d’histoire, l’islam a été tout et son contraire dans les situations les plus variées, avec des moments de grande ouverture interculturelle et des moments de fermeture puis à nouveau d’ouverture…
L’histoire critique de l’islam a été faite ?
Oui, parfois dans la douleur mais elle existe. Ce n’est malheureusement pas le cas de l’islam contemporain dans son rapport à ses textes sacrés de référence, que ce soit le Coran lui-même ou le corpus postérieur de la tradition dite prophétique. Ils n’ont pas été suffisamment historicisés ou plutôt l’ont été dans la perspective d’une sacralisation et d’une dé-temporalisation. L’islam contemporain est donc orphelin de son histoire ce qui ouvre la porte toute grande à tous les délires.
Comment peut-on réinterpréter les versets les plus violents ? Les passages violents des textes sacrés doivent être ramenés à leur contexte d’origine…Une parole violente peut chercher à compenser une action qui ne parvient pas à se réaliser…Comment peut-on expliquer aux jeunes musulmans qui se radicalisent que les textes religieux d’un autre temps ne justifient pas certains actes violents aujourd’hui ? …les plonger dans l’histoire à partir des textes mêmes en leur montrant que la parole première s’adressait à des gens qui ne sont pas eux dans une société qui n’est pas la leur.
C’est un travail de longue haleine qui n’est pas fait dans les pays musulmans pour des raisons qui sont les leurs et qui sont liées à la crise de la modernité, à la décolonisation, à l’échec du développement et des nationalismes laïcisants. En 1954, Nasser se moquait de ceux qui voulaient imposer le voile aux Egyptiennes. Quand toutes les issues sont fermées, la mythification du religieux peut servir de refuge.
Comme en Arabie saoudite ? L’idéologie wahhabite, qui bloque toute lecture historique depuis une quarantaine d’année, fait des ravages. Elle a vu son influence décupler depuis l’arrivée d’internet. Dans les textes du passé il faudrait séparer ce qui relève du conjoncturel de situations non transposables en étudiant précisément des situations qui ne sont pas celles d’aujourd’hui…
Il y a aussi le ‘ hadîth ’ et la ‘sunna’. Que représentent ces textes ?
A partir de la sîra, les croyants plus basiques restés étrangers à la théologie produisent les « paroles de Muhammad » comme modèle. C’est la constitution du corpus qui deviendra celui de la tradition prophétique appelé à la fois hadîth et sunna du prophète (modèle du sunnisme). Le mouvement démarre en Iraq avec Ibn Hanbal (m; 855) où il est combattu par les théologiens. Le mouvement de collecte des paroles prêtées à Muhammad (souvent totalement inventées ou reconstruites à partir d’éléments variés) est très conséquent et constitue un immense bricolage au sens anthropologique. Ces textes issus de la tradition juridique ou totalement légendaires sont censés répondre à tout sur le plan du rituel comme de la vie en société… ce qui évidemment n’était pas le cas du Coran. Cet imposant corpus n’a jamais fait l’objet d’une véritable étude de critique historique parmi les islamologues.
Mais, aux yeux des sunnites, la validité de ces paroles est comparable à celles du Coran ? Il est malheureusement mis sur le même plan de validité que le Coran et les croyants croient y trouver les réponses que le Coran ne leur fournit pas…
Les musulmans ont-ils raison d’affirmer que les attentats n’ont rien à voir avec l’islam, alors que les terroristes les font au nom d’Allah ?
Non. Les attentats ont un lien avec l’islam contemporain, précisément. Il est faux de dire qu’il n’y aurait aucun rapport. Mais il faut préciser que la notion d’islam en général est un fantasme. L’islam doit toujours être situé dans une temporalité… L’islam est-il porteur d’une volonté d’expansion ?
Les idéologies djihadistes sont porteuses d’une volonté expansionniste (on a des exemples en France et en Belgique où certains vivent avec un ritualisme exacerbé et largement inventé)…Les conquêtes qui suivirent la mort de Muhammad sont des razzias tribales et non des conquêtes musulmanes. Ensuite les califats mèneront une politique d’expansion impériale classique. D’où vient alors le radicalisme actuel ? Les racines les plus anciennes des frustrations actuelles remontent à la chute de l’Empire ottoman et à celles de la colonisation, des idéologies de compensation qui se sont développées en sourdine un peu partout comme une sorte de revanche. Les crises actuelles, en gros depuis la création d’Israël, ont alimenté des frustrations nouvelles d’abord tournées avec les nationalismes vers un retour de la grandeur arabe perdue. Depuis une quarantaine d’années le religieux a pris le relais du nationalisme, largement aidé par l’expansion de l’idéologie wahhabite.
Béthune : une jeune femme sous l’emprise de Daesh pendant 1100 jours
www.lavoixdunord.fr , 23/09/2015 – 23/09/2015, PAR STÉPHANE DEGOUVE.
Les yeux maquillés, quelques percings sur le visage, Sonia* n’a pas le look d’une terroriste. C’est pourtant pour apologie d’un acte de terrorisme que cette femme de 29 ans a été jugée lundi au tribunal de Béthune. Pour avoir diffusé les messages des terroristes de Daesh et de l’État islamique (EI) et lancé des appels au djihad. Rien ne la prédestinait à ça, elle qui a grandi dans une petite commune du Béthunois. Rien jusqu’à une dépression, en 2012, suite à la perte de son travail et un viol quelques années plus tôt. Sonia se retrouve seule et cherche une porte de sortie sur Internet, sur des blogs de discussion. Elle communique souvent avec un Algérien vivant a priori à Marseille qui lui dit que l’islam va régler tous ses problèmes, puis avec un autre homme à Lyon, un en Syrie, etc.
Serment d’allégeance – Au bout de quelques mois, elle se convertit à l’islam dit authentique, en juillet 2014, et fait même serment d’allégeance à l’EI. « De fil en aiguille, il m’a dit qu’il fallait que j’aille en Syrie faire de l’humanitaire », explique Sonia. Ou faire exploser une synagogue à Marseille. Un départ en Syrie aurait même été évoqué, insiste la présidente, Stéphanie Ménard (l’itinéraire a été trouvé dans son ordinateur). Et il n’y avait pas que ça : des photos et des vidéos de décapitations, de la propagande djihadiste, de drapeaux de l’EI ou de Daesh, tout ce que Sonia a partagé sur sa page Facebook. Des incitations à « faire couler le sang », des hommages aux actes barbares de Merah ou des frères Kouachi. Même un message disant « Tuez les maires dans nos villages, comme ça on déstabilisera le pays », avec la photo du maire de Béthune. « Avec le recul, avec tout ce qu’ils m’ont fait voir, je trouve que c’est des barbares. Mais si je ne relayais pas leurs infos, ils me disaient qu’un châtiment m’attendait », explique Sonia.
« Un lavage de cerveau » – C’est quand elle a reçu un niqab par la Poste que sa mère, inquiète, a alerté les autorités pour être aidée. C’était en juillet dernier. Depuis, Sonia s’est réveillée et a pris ses distances avec ses « amis » virtuels. Son avocat, Me Darras, explique attendre « un rempart » de la justice pour la protéger. Pour aider une femme « happée par une forme de prédateur qui va surfer sur son intérêt pour l’islam et sur sa fragilité ». Isolée socialement, elle n’avait de liens avec le monde que via les réseaux sociaux. Pour Me Darras, c’est là qu’elle a subi « un lavage de cerveau […] Elle n’avait plus son libre arbitre ». Mais depuis la mi-juillet, sa cliente « victime d’un endoctrinement » n’a été sur aucun de ces réseaux sociaux et s’est tournée vers des psychiatres, vers sa famille et vers le Centre national d’accompagnement familial et de formation face à l’emprise sectaire (CAFFES) dont les membres étaient au tribunal pour la soutenir. Tous sont conscients que le chemin reste long pour que Sonia se désengage de cette emprise. « On commence seulement à s’éveiller d’un mauvais cauchemar », conclut Me Darras.
Les juges ont condamné Sonia à un an de prison dont 8 mois avec sursis et mise à l’épreuve, avec un aménagement de la partie de prison ferme possible. Elle devra suivre des soins, a l’interdiction d’entrer en contact avec les personnes qu’elle côtoyait sur Facebook et a l’interdiction de quitter le territoire sans autorisation.
« Elle avait conscience de ce qu’elle diffusait »
Sans faire de discours alarmiste, le procureur Julien Michel, a insisté sur le danger de cette forme de propagande sur Internet. « C’est un fonctionnement très établi, où des personnes comme Daesh ne veulent que renforcer leur présence et leur pouvoir par des actes terroristes. Les démarcheurs cherchent des enfants ou des personnes fragilisées. Première phase, ils prennent ces cibles pour les amadouer, les mettent en confiance et enjolivent. Deuxième phase, de déconstruction, en cassant la psychologie de la personne. Troisième phase, faire faire ce qu’ils souhaitent : diffusion de messages sectaires voire passage à l’action. » S’il reconnaît que Sonia est « victime d’une emprise sectaire », il estime qu’elle « avait conscience des conséquences de ce qu’elle diffusait. Au fur et à mesure, des images de barbarie ». Assez pour requérir « une peine d’assistance ». L’essentiel de la peine doit, pour lui, être l’obligation de « soins et le soutien d’une association pour se détacher de cette emprise. Il faudra un temps assez long pour détruire ce lien. »
* Prénom d’emprunt.
Pour s’informer : Centre national d’assistance et de prévention de la radicalisation : 0 800 005 696 (nº vert) ou stop-djihadisme.fr
Un centre de déradicalisation va ouvrir à Bordeaux
Par Yassine Khelfa M’Sabah, France Bleu Gironde et France Bleu – Mardi 22 septembre 2015
Le centre s’appellera « CAPRI ». Il s’agit d’un centre d’action et de prévention contre la radicalisation islamiste. La Préfecture préfère rester discrète pour le moment mais prévoit courant Janvier, un an après les attentats de Charlie Hebdo de dévoiler ses premières analyses…
Le centre de déradicalisation agira de manière indépendante. Son objectif : aider les familles et les proches de personnes embrigadées dans l’islam radical. Un numéro vert existe déjà pour ces familles depuis avril 2014. Cette plateforme téléphonique avait été mise en place par le ministère de l’Intérieur. Elle donnera des signalements au centre de déradicalisation à Bordeaux comme l’explique Simon Bertoux, directeur de cabinet du Préfet de la Gironde.
Selon nos informations sept girondins auraient déjà pris le départ pour la Syrie. Cet été une famille entière est soupçonnée d’être partie elle aussi rejoindre les rangs de Daesh en Syrie. … Le centre de déradicalisation sera composé de différents acteurs. Des psychologues, des spécialistes des dérives sectaires ou encore des représentants de la religion musulmane seront présents. Ils travailleront à partir de signalements, des alertes données par les familles via le numéro vert lancé par le ministère de l’Intérieur mais aussi grâce aux informations des renseignements généraux.
En France d’autres initiatives locales ont vu le jour. A Marseille, Strasbourg ou encore en Ile-de-France. Récemment à Mulhouse, le Tribunal de Grande Instance a lancé des «stages de déradicalisation» pour les individus poursuivis pour des infractions en lien avec l’Islam radical. Un des premiers centres du genre avait ouvert à Paris courant 2014, lancé par l’anthropologue Dounia Bouzar, spécialiste des dérives sectaires liés à l’Islam radical. Des centres qui s’inspirent notamment du Danemark. Le pays avait été le premier à lancé en 2013, des organismes de réhabilitation pour s’occuper des djihadistes de retour de Syrie.
A Marseille :Association des victimes de l’islam radical et de pratiques anachroniques, tél. : 07 83 69 08 13 turquoise.freedom@gmail.com – http://victim-islam-radical.monsite-orange.fr/
Un lycéen menacé de mort après la publication d’un journal spécial Charlie Hebdo
AFP 21 mai 2015.
Lycée Marcellin-Berthelot, Saint-Maur-des-Fossés (France). Un élève scolarisé dans le Val-de-Marne et rédacteur en chef du journal de son lycée est l’objet de menaces de mort répétées depuis la publication fin janvier d’un numéro spécial Charlie Hebdo, a-t-on appris jeudi auprès de ses professeurs. En réaction aux attentats, Louis, 17 ans, avait fait paraître le 22 janvier un numéro spécial de « La Mouette bâillonnée », le journal du lycée, un établissement réputé de 2.300 élèves. Dans ce numéro titré « Je suis Charlie », des billets d’humeur, des poèmes, des dessins, mais aucune caricature de Mahomet.
« C’était un hommage aux 17 victimes sans discrimination, pour les juifs, les journalistes, les policiers », explique Louis à l’AFP.
Son lycée a été directement touché par les événements puisqu’un élève a perdu son père dans l’attaque de Charlie Hebdo, le correcteur Mustapha Ourrad, tandis que l’oncle d’une élève a été tué par Amédy Coulibaly dans l’Hyper Cacher à Vincennes. Dès le lendemain de la diffusion du journal, il découvre dans la boîte aux lettres du journal une enveloppe contenant la Une du fameux numéro sur laquelle ont été agrafés une croix gammée, un cercueil et une lettre de menace de mort. Il dépose plainte au commissariat…
Au total, sept menaces de mort lui ont été adressées depuis fin janvier, dont deux comportant une ou plusieurs balles. La dernière, qui remonte à début mai, avait « un goût d’ultimatum », selon lui.
« Cela dure depuis des mois. Au début, nous n’avons rien dit pour laisser l’enquête se faire, mais rien de concret n’a été fait », déplore Pascale Morel, professeur d’histoire, pour justifier le débrayage…
Un aller sans retour pour les candidates au jihad
Euronews 28/05/15
Contrairement aux hommes, rares sont les femmes jihadistes à pouvoir quitter la Syrie ou l’Irak. En février dernier, “trois adolescentes britanniques quittaient librement le Royaume-Uni pour venir grossir les rangs d’Etat islamique.” : http://fr.euronews.com/2015/03/01/jihad-nouvelles-images-des-adolescentes-britanniques-en-turquie/
Une journaliste française, utilisant le pseudonyme ‘Ana Erellle’ s’est fait passer pour une candidate au jihad : “On a entamé un dialogue où moi, je me suis fait passer pour une fille que j’improvisais au jour le jour d’une vingtaine d’années, pas bête, mais vraiment sans repères. Je suis allée jusqu‘à Amsterdam pour suivre les consignes qu’il m’avait donné et là tout a dérapé parce qu’il n’a pas respecté certaines de ses promesses, entre guillemets. Bilel s’est mis à me menacer et très vite, c’est son entourage” raconte-t-elle.
Il y aurait environ 600 occidentales qui auraient ainsi rejoint la Syrie ou l’Irak. Parmi elles, “Sarah”, une adolescente française, originaire de l’Aude, aujourd’hui mariée à un Tunisien en Syrie. Ses parents se sentent complètement impuissants (http://fr.euronews.com/2015/03/01/jihad-nouvelles-images-des-adolescentes-britanniques-en-turquie/)
“Malheureusement, ce qu’on entend autour de ces jeunes qui partent, c’est l’espoir de vivre leur religion, que j’entends en tout cas à mon sens de leur secte, avec l’espoir bien entendu de pouvoir l‘étendre au plus grand nombre d’habitants de cette terre. D’où le danger, d’où la gravité des choses” explique Samia Maktouf, avocate défendant les familles dont les enfants sont partis en Syrie. Sur environ 600 occidentales qui auraient rejoint les rangs d’Etat islamique, seulement deux auraient réussi à s‘échapper pour revenir en Europe. La France vient d’annoncer la création de deux cellules de “community managers” pour lutter contre la propagande jihadiste sur internet.
http://fr.euronews.com/2015/05/28/un-aller-sans-retour-pour-les-candidates-au-jihad/
Pierre Conesa : «L’appel d’air est au niveau du jihadisme salafiste»
Sylvain MOUILLARD, Liberation,15 AVRIL 2015
INTERVIEW Pierre Conesa. Ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense, Pierre Conesa enseigne à Sciences-Po et à l’ENA. Pour le compte de la Fondation d’aide aux victimes du terrorisme, il a publié en décembre le rapport Quelle politique de contre-radicalisation en France ?
Où en est la lutte contre les sectes en France ?
La situation actuelle montre les limites du dispositif conçu pour lutter contre les dérives sectaires. Georges Fenech, ancien président de la Miviludes, expliquait que l’institution s’interdisait de toucher aux grands monothéismes ainsi qu’aux partis politiques sectaires, type Moudjahidin du peuple, au nom de la liberté de conscience et d’opinion. C’est un problème face à la montée du salafisme jihadiste, qui repousse les limites de la République. Ce mouvement a des objectifs politiques, et pas seulement religieux. Or, on se refuse à qualifier ce continuum intellectuel (…)
Que faut-il faire ?
L’islam de France doit dire ce qu’il accepte ou non. Quand l’Union des associations musulmanes du 93 publie un texte qualifiant l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, d’«enjuivé», il faut le dénoncer. Les autorités politiques doivent le faire aussi. Le salafisme ne doit pas forcément être interdit, mais au moins interrogé. Cela permettrait de sortir de ce problème récurrent de la stigmatisation de l’islam. En cas de dérive, on pointerait du doigt non pas «l’islamisme», ce qui peut nourrir les amalgames, mais le salafisme…
Pourquoi utiliser la grille d’analyse d’une dérive sectaire ?
L’avantage, c’est qu’une grille juridique existe déjà et qu’elle permet de traiter ce problème comme les autres dérives sectaires. Quand il y a, par exemple, des cas d’abus de faiblesse sur des mineurs qu’on aide à partir en Syrie, la loi de protection des mineurs permettrait d’intervenir. Ce n’est pas évident, bien sûr, car les choses se passent souvent loin de la France. Au-delà de la protection de l’enfance, il existe le dispositif pénal classique qui doit être appliqué systématiquement à l’encontre des prédicateurs qui tiennent des discours antisémites ou d’appels à la violence.
Des familles s’inquiètent de dérives sectaires liées à l’islam
Le Monde.fr | 24.03.2014 Par Stéphanie Le Bars.
La jeune femme, née à Paris dans une famille d’origine africaine chrétienne, ne sort qu’intégralement voilée et gantée, ce qui lui a déjà valu plusieurs contraventions. Dans la chambre de son fils de 12 ans, un livre sur le Prophète, un autre sur les ablutions à effectuer avant la prière constituent les seules distractions du jeune garçon.
Contraint par sa mère de se rendre à la mosquée cinq fois par jour, l’élève, aujourd’hui en CM2, a été déscolarisé durant toute l’année 2013. « Elle ne voulait pas qu’il aille à la piscine avec les filles, qu’il entende parler d’accouchement ou de sperme à l’école. Elle a plusieurs fois évoqué son intention de partir en Afrique ou en Arabie saoudite », rapporte une source proche du dossier. Le 12 mars, le tribunal correctionnel de Chartres a condamné la jeune mère de 27 ans à six mois de prison avec sursis et à une « obligation de travailler ». Le procureur a estimé que cette attitude n’avait « rien à voir avec la religion » et a dénoncé une « dérive sectaire ».
Depuis quelques mois, des familles confrontées à une radicalisation religieuse de ce type dans leur entourage prennent contact avec la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), qui a « lancé l’alerte » au niveau interministériel. De même, l’Union nationale des associations de défense des familles et de l’individu victimes de sectes (Unadfi), constate une « poussée exponentielle » des cas enregistrés dans ses antennes locales.
(…) Face à ce « phénomène récent et croissant », selon la Miviludes, et alors que les services de renseignement s’inquiètent du départ de plusieurs centaines de jeunes Français vers la Syrie, chacun se félicite d’une prise de conscience, mais les analyses divergent encore. « Emprise mentale » pour les associations, « radicalisation religieuse », voire « dérive islamiste » pour les autorités, les réponses oscillent entre approches sociale, judiciaire et policière.
Les appels reçus à la Miviludes interviennent surtout pour s’inquiéter d’un changement de comportement chez des jeunes filles. « Ce sont des familles de culture musulmane ou non, pieuses ou non, qui voient en quelques mois, leur enfant se couvrir des pieds à la tête », confirme Serge Blisko, président de la Miviludes. Jusqu’à présent, les familles témoins d’une radicalisation religieuse liée à une dimension politique se taisaient ou, plus rarement, se tournaient vers la justice ou la police.
« Les cas qui nous arrivent ne relèvent pas tous de cela, explique M. Blisko. Parfois, la crainte concerne un départ à l’étranger pour un mariage, ou une rupture avec le cadre familial, avec les études. Les jeunes filles refusent certaines pratiques alimentaires ou affirment à leurs parents qu’ils vivent dans le faux. Les familles, dont certaines n’ont aucune attache religieuse, sont désemparées. »(…)
« On n’a pas l’impression d’avoir affaire à des gens malades ; la plupart du temps, il n’y a pas de troubles à l’ordre public, et on n’est pas non plus face à des exigences financières, explique-t-il, en référence à quelques-uns des critères qui fondent les pratiques sectaires. On constate une emprise mentale par le biais de personnages troubles
(…) Le 9 avril, plusieurs familles devraient lancer une pétition, intitulée « Rendez-nous nos enfants », pour alerter les pouvoirs publics et l’opinion. Et surtout, faire revenir Assia, une petite fille de 23 mois, partie à l’automne 2013 en Syrie avec son père, à l’insu de sa mère.
La néo-confrérie turque Gülen, un Opus Dei musulman en France?
State.fr – 04/03/2014.
La guerre intra-islamiste que le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan mène contre ce mouvement a des répercussions dans l’Hexagone, où cette organisation très peu connue compte quelques milliers d’adeptes.
En ce jour d’avril 2007, sur les rives du Bosphore, un petit groupe de Français discute ferme. Il y a là quelques belles signatures du monde intellectuel hexagonal: les historiens Jean-Pierre Azéma, Philippe Roger et Olivier Wieviorka, l’islamologue Olivier Roy, l’ancien recteur de l’Institut catholique de Paris Joseph Maïla, les philosophes Dominique Bourel, Michel Marian et Joël Roman, proches de la revue Esprit, le sociologue Jacques Donzelot, le géographe Michel Foucher, l’éditeur Jean-Louis Schlegel, le politiste Frank Debié… Ils ont été invités à Istanbul pour débattre, dans un luxueux hôtel, en compagnie d’universitaires et d’intellectuels turcs [1]. Le sujet? «La République, les diversités culturelles et l’Europe».
Et voilà que ce petit groupe s’inquiète: ont-ils bien fait d’accepter l’invitation? A l’origine de ce questionnement: le dîner du premier soir au Palais de Dolmabaçe, où l’alcool était proscrit, et puis, surtout, la teneur de la brochure de présentation disposée sur les tables de chevet des chambres d’hôtel. «Y avez-vous lu cette diabolisation du blasphème?, s’exclame, particulièrement vigilant et attentif, Philippe Roger. Nous avons accepté l’invitation d’une association qui criminalise le blasphème…»
Car derrière la «plateforme d’Abant», à l’origine de l’invitation, il y a –ces intellectuels français viennent de le découvrir– la vaste néo-confrérie Gülen, une «secte», explique Olivier Roy à ses pairs, laquelle «n’apparaît souvent pas en tant que telle et met en avant des personnalités qui n’en sont pas toujours membres».
Au fil de ces dernières années, cette néo-confrérie a pu apparaître comme une sorte de Janus. D’un côté, un large réseau de musulmans turcs pieux et très actifs, engagés et dévoués «au service» (Hizmet, en turc) de la société civile. Inspirés par la pensée de l’imam Fethullah Gülen, exilé aux Etats-Unis depuis 1999, ils condamnent la violence et la terreur, promeuvent l’entrepreneuriat, l’éducation et le dialogue interreligieux.
De l’autre côté, une forte présence, un «noyau dur» selon certains observateurs, au sein de la police et de la justice qui, allié au parti de la Justice et du développement (AKP) au pouvoir depuis 2002, a aidé le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan à se débarrasser de la tutelle politique de l’armée en procédant à des centaines d’arrestations et de retentissants procès. La néo-confrérie est implantée dans plus de 150 pays, dont la France depuis les années 80 …
Encore récemment, en décembre 2013, lors d’un dîner à l’Assemblée nationale, un sénateur vantait le charme de la ville de Konya, qu’il venait de découvrir grâce au mouvement. «Certains de nos élus ne sont pas très regardants quand il s’agit de se faire inviter en Turquie…», confie un responsable du ministère de l’Intérieur français…..
Il faut dire que le mouvement n’est pas facile à définir. Par sa volonté d’agir dans la sphère publique avec des motivations séculières, il tient à la fois de la franc-maçonnerie et des jésuites; la diversité des activités qu’il propose fait en revanche parfois penser au Rotary. A tous, il emprunte un goût du secret –ou une prudence– qui suscitent la méfiance et évoquent l’Opus Dei…..
En 2009, les plus actifs membres du mouvement ont pourtant essayé de mieux se faire connaitre. «Mais ils restent encore relativement confidentiels», explique le politiste Louis-Marie Bureau, qui a étudié la pensée de leur inspirateur et a été l’objet d’une dénonciation virulente de la part de certains adeptes, auxquels un de ses articles n’avait pas plu. «De manière générale, ils sont en France tout à fait sincères par rapport aux lois de la République, même si leur discours n’a rien à voir avec celui qu’ils tiennent en Asie centrale ou en Azerbaïdjan (où ils invoquent volontiers les liens « panturques”, tandis qu’en France, l’accent est mis sur l’aspect citoyen et la laïcité). Mais ils pensent que présenter le mouvement comme monolithique pourrait les mettre en difficulté. C’est pourquoi ils restent vagues sur leurs liens avec Fethullah Gülen.»
…En France comme en Turquie, les étudiants sympathisants du mouvement Gülen se regroupent souvent pour partager un même appartement, autrement appelé «maison de lumière». Un «entre-soi» spirituel qui convient à certains, tandis que d’autres dénoncent un risque d’endoctrinement.
En privé, plusieurs universitaires français saluent le caractère «assidu, volontariste, sérieux et attentionné» de ces jeunes gens. Depuis quelques années, de nombreux étudiants travaillent sur le mouvement Gülen, mais une grande partie d’entre eux adhèrent à ses idées, ce qui pourrait à terme fausser les études sur le sujet. «La recherche sur le mouvement est investie par des étudiants qui en sont proches et celui-ci finance leurs bourses. Sans oublier qu’un chercheur non adoubé par le mouvement aura beaucoup de mal à avoir accès aux écoles, aux militants, etc.», observe la chercheuse française en sciences politiques Elise Massicard, associée au Ceri.
Les deux écoles fondées par des familles fidèles à Fethullah Gülen, à Villeneuve-Saint-Georges et à Strasbourg, comptent moins de 300 élèves au total. Elles sont pour l’instant «hors contrat», financées par moitié par les dons, par moitié par les écolages de 5.000 euros par an et par élève. Viennent s’y ajouter une vingtaine d’associations qui font de «l’accompagnement dans le domaine éducatif et social». Enfin, le mouvement organise des «dîners du vivre ensemble», parfois en partenariat avec des associations françaises comme la Croix-Rouge ou les Restos du cœur, comme c’était le cas le 11 janvier dernier à Clichy-sous-Bois.
…Transnationale, la néo-confrérie Gülen joue la carte de l’intégration dans le pays d’accueil, dont elle adopte normes et règles. Avec son fort enracinement turc, il lui faut, pour se développer en France, attirer les immigrés ou les Français d’origine nord-africaine, avec lesquels, précise le directeur de l’école de Villeneuve-Saint-Georges, Abdurrahman Demir, les Turcs ne doivent pas être confondus: «Ce qui nous différencie des Maghrébins, c’est qu’ils ont tourné le dos à leur culture car le message de leurs imams et de leurs parents ne correspond pas à la vie moderne. Alors, ils deviennent frustrés et violents. Tandis que nous, les Turcs, on avance avec notre culture, notre histoire, et grâce au mouvement Gülen, on ne s’enferme pas, on ne se replie pas sur nous.»
Liens avec la droite religieuse américaine
Si la «greffe Gülen» à du mal à prendre en France c’est peut être aussi parce que réside quelque chose de très américain dans ce mouvement où le culturel se confond avec le religieux. «Il existe des liens idéologiques entre Fethullah Gülen et la droite religieuse américaine», décrit l’universitaire Jean-François Bayart, qui est allé présenter son livre sur l’islam républicain à la Plateforme de Paris et a évoqué dans un article les liens qu’entretiendrait le mouvement Gülen avec la CIA. D’ailleurs, les adeptes de Fetullah Gülen, comme la majorité des Américains et des Turcs, sont créationnistes. «On trouve la même littérature de dévotion, les mêmes méthodes en matière d’éducation, d’information, d’affaires, d’activités sociales et caritatives qu’aux Etats-Unis», poursuit Jean-François Bayart…
Lobbying, noyautage, prosélytisme?
Lobbying pour la Turquie? Noyautage de la communauté turque? Prosélytisme? Quels sont les buts de l’implantation du mouvement Gülen en France? «En Turquie, l’approche du mouvement Hizmet a permis à ses membres de vivre à la fois comme musulmans pratiquants et citoyens actifs dans un état laïque et dans une société sécularisée. La priorité du mouvement en France est de déstigmatiser l’immigration turque par le biais de la scolarisation des jeunes. Donc, le mouvement s’inscrit dans une démarche communautaire mais pas forcement communautariste», répond Emre Demir.
Selon le chercheur Louis-Marie Bureau, le mouvement peut-être dangereux si on ne sait pas «à qui on a affaire, si on pense que c’est une communauté pour qui la seule chose qui compte, c’est le dialogue interreligieux et la réussite scolaire. Le mouvement se développe assez vite et il répond à l’appel de son fondateur, qui encourage ses membres à atteindre des postes d’influence, notamment au sein des administrations».
Parfois, l’actualité turque rattrape les sympathisants du mouvement jusque sur le territoire français. Ainsi, le 15 février 2012, plusieurs militants du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, parti d’inspiration marxiste-léniniste, et plutôt athée) s’introduisent dans les locaux du journal Zaman à Pantin et détruisent pour 30.000 euros de matériel. Le PKK voit d’un mauvais œil l’influence sociale et religieuse grandissante du mouvement Gülen dans les zones kurdes du sud-est de la Turquie, lequel n’approuve d’ailleurs pas de son côté les négociations que mènent les services secrets et Recep Tayyip Erdogan avec le PKK…
Mails d’injures et désabonnements
Depuis la mi-décembre, ce ne sont pas les Kurdes du PKK mais les partisans de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan qui, comme en écho à la guerre intra-islamiste ouverte qui se déroule en Turquie, menacent sur le sol français: mails d’injures, désabonnements à Zaman, plus rarement, retraits d’enfants des deux écoles ou des cours de soutien scolaire… Déjà peu enclins à reconnaître leur affiliation, les fidèles de Fethullah Gülen se referment. Ils sont même carrément apeurés à l’idée d’être cités nommément: «Il y a une vraie chasse aux sorcières contre nous…», disent plusieurs d’entre eux. Car être étiqueté «guléniste» c’est risquer de se retrouver sur une «liste noire», et se voir peut-être interdire l’accès à des postes dans la fonction publique en cas de retour en Turquie…
[1] La professeure en relations internationales Tulin Bumin, les sociologues Niyaze Oktem et Levent Yilmaz, l’historien Mete Tuncay, le philosophe Kenan Gürsoy, les économistes Cengiz Aktar, Ahmet Insel, Eser Karakas et Asaf Savas Akat, les journalistes Mehmet Altan, Ali Buraç, Murat Belge, etc. Certains de ces professeurs enseignent à l’Université francophone de Galatasaray.
http://www.slate.fr/story/83825/neo-confrerie-gulen-france