2 documents extraits du colloque national « Comment éviter les dérives sectaires dans les pratiques de santé non reconnues et de bien-être ? », organisé par le GEMPPI le samedi 4 octobre 2008 à l’Espace Ethique Méditerranéen, Hôpital adultes de La Timone – Marseille. Publié dans « Découvertes sur les sectes et religions n° 80 du 1° janvier 2009
Le thérapeute holistique dans « Médecine parallèle »
Un exemple concret est présenté dans cette vidéo de 15 minutes, montrant ce qu’il se passe souvent dans l’intimité du cabinet d’un thérapeute sectaire :
https://www.youtube.com/watch?v=czW1Nxr_EuU (Médecine parallèle)
La résistible ascension des médecines non conventionnelles
Jean Brissonnet, physicien, collaborateur du Laboratoire de Zététique de l’Université de Nice Sophia Antipolis » et auteur de « Les pseudo-médecines : un serment d’hypocrites.Editeur : book-e-book / Collection : Zététique
Nous ne pourrons que conseiller la lecture de son livre Les pseudo-médecines : un serment d’hypocrites et la lecture de son site www.pseudo-medecines.org.
On assiste depuis quelques années à une montée incontestable des médecines non conventionnelles (MNC). Il ne se passe pas un mois sans qu’un journal fasse un dossier sur le sujet et le Conseil national de l’ordre des médecins lui-même, commence à s’inquiéter de ce type de dérive.
Quelques chiffres
Ces chiffres permettent de mieux prendre la mesure du phénomène.
Dans les années 50 on recensait quelques dizaines de médecines non conventionnelles. Aujourd’hui, d’après l’UNADFI, il en existerait 287 dûment recensées et l’on peut penser que ce chiffre sera très rapidement dépassé.
Si l’on se base sur la MNC la plus connue, l’homéopathie, qui est la seule pour laquelle on dispose de chiffres fiables, on constate qu’alors qu’elle était à peu près confidentielle il y a un demi-siècle, aujourd’hui, 39 % des Français y font appel au moins une fois par an. Parallèlement le chiffre d’affaire des laboratoires Boiron est passé de 305 M€ en 2003 à 434 M€ en 2007, une progression remarquable que doivent envier beaucoup d’autres industries.
En 1969 il y avait en France cinq salons de médecines naturelles, alors qu’on peut en répertorier aujourd’hui 253.
Le phénomène est tel que le conseil national de l’ordre des médecins s’est ému de ce type d’activités en constatant qu’avec une démographie tout à fait similaire à celle des autres pays européens, de nombreuses régions manquent cruellement de médecins généralistes. Une enquête a été lancée, dont le résultat à mis parcours indiquait, après regroupement des données, que dans le département des Bouches-du-Rhône on recensait environ 11 % de médecins pratiquants l’homéopathie, l’acupuncture ou l’ostéopathie. Et c’est bien entendu sans compter ceux qui s’adonnent à l’aromathérapie, à la naturopathie, aux fleurs de Bach et parfois même à la médecine de Hamer, mais qui le font, bien évidemment, dans la plus grande discrétion.
Face à cette situation il y a deux possibilités. La première consiste à se résigner, à s’en accommoder et à considérer que, pour parodier une phrase célèbre, « le XXIe siècle sera irrationnel ou ne sera pas ». La deuxième solution consiste à voir s’il est possible de résister à cette déferlante. Pour cela encore faut-il comprendre les motifs qui amènent praticiens et patients à se tourner vers ces MNC.
Le premier élément qui concourt à l’adhésion aux MNC est la méconnaissance profonde de ce que peut-être la mesure de l’effet thérapeutique.
1) La mesure de l’effet thérapeutique
Depuis les temps les plus reculés jusqu’à la seconde moitié du XIVème siècle tout repose sur la constatation, le récit, l’apparence, le cas particulier. On admet empiriquement que si un malade consulte un chamane, un guérisseur, voire un « médecin » de cette époque, le traitement qui lui a été appliqué est responsable de sa guérison.
Cette attitude s’appuie sur quatre erreurs de raisonnement.
Le sophisme post hoc [expliquer]
Ce sophisme consiste à penser que si un élément en précède un autre, il en est la cause.
Il est à la base de toutes les superstitions : la fameuse comète de [X. X. I. X.] tenue pour responsable d’une année exceptionnelle de récolte dans le vignoble, les récits de guérisons miraculeuses où les études de cas des psychanalystes. Nulle prise en compte dans ce raisonnement du fait que beaucoup de maladies guérissent spontanément, ce qui explique que l’homme bien avant l’arrivée de la médecine scientifique ait pu survivre sur la terre.
Le sophisme du faisceau de preuves
Il consiste à accumuler des preuves faibles pour obtenir une preuve forte. Comme si une demi-preuve plus une demi-preuve était égale à une preuve. Le laboratoire Boiron est spécialiste de ce sophisme. Il finance et accumule un grand nombre d’études qui comportent toutes des biais plus ou moins prononcés, que refusent de publier les grands journaux internationaux à comité de lecture, et il en conclut que les choses semblant aller toutes dans le même sens, l’ensemble de ces preuves, mêmes biaisées, équivalent à une preuve définitive.
La mémorisation sélective
Elle consiste à ne se souvenir que de ce qui va dans le sens de sa croyance. On peut trouver dans la vie quotidienne de nombreux exemples de cette erreur de raisonnement. Tout le monde connaît des médecins ou des infirmiers qui affirment, la main sur le cœur, que les soirs de pleine lune les maternités sont submergées de femmes prêtes à accoucher. Même chose dans les hôpitaux psychiatriques où on affirme souvent qu’à cette même époque les patients sont particulièrement agités et qu’il faut parfois forcer sur les neuroleptiques. De nombreuses études ont été faites sur ce sujet en reprenant les registres des hôpitaux et en décomptant le nombre des évènements répertoriés par comparaison aux différentes phases de la lune. Aucune de ces études, dans aucun de ces deux cas, n’a pu mettre en évidence la moindre corrélation.
La dissonance cognitive
C’est le cas où, la réalité étant en conflit avec la croyance, cela provoque une souffrance psychologique intense. L’une des solutions pour diminuer cette souffrance est de refuser la réalité.
Les membres des grandes sectes, qu’il s’agisse des scientologues ou des raëliens, qui ont pourtant accès à l’information, peuvent lire des écrits et voir des émissions de télévision concernant leur secte, qui en démontrent les mécanismes nocifs. Ils refusent cependant d’admettre la réalité qu’on leur présente, pour continuer à croire en leurs gourous. C’est aussi le cas des électeurs de George Bush qui ayant approuvé la guerre en Irak ont refusé pendant très longtemps d’admettre les conclusions de l’Irak survey group lorsqu’il indique que l’Irak ne possédait pas d’armes de destruction massive. C’est enfin le cas des analysés qui après 10 ou 15 ans de psychanalyse ne remettent pas en cause l’analyse elle-même, mais changent de praticien et poursuivent dans la même voie.
Les méthodes modernes d’évaluation
2) Données récentes sur le placebo
Pour cela il faut faire appel aux dernières données sur cet effet qui a été malheureusement trop souvent présenté comme magique.
Ce qu’il faut savoir en tout premier lieu est que l’effet placebo est très mal connu. On compte une vingtaine d’études spécifiques en un demi-siècle et seulement une centaine d’études effectuées à partir de travaux sur les médicaments. Ces chiffres sont à comparer avec les milliers d’études effectuées par l’industrie pharmaceutique.
En réalité ce qu’on appelle couramment effet placebo est dû en partie à l’évolution naturelle de la maladie, à laquelle viennent s’ajouter des « effets non spécifiques ».
Ce sujet qui mériterait de très longs développements, peut se résumer en cinq citations extraites de publication relativement récentes :
Il faut donc bien distinguer « l’objet » placebo, de « l’effet » placebo.
– « La meilleure façon de produire un effet placebo est de l’associer avec un traitement réellement efficace »1. Ce qui signifie qu’il faut abandonner l’idée qu’il y aurait d’un côté une médecine technique et scientifique et de l’autre une médecine placebo qui pourrait agir seule.
– « Les effets non spécifiques peuvent produire des résultats statistiquement et cliniquement significatifs, et la relation patient praticien en est la plus forte composante »[2].
– « Plus on s’achemine vers des données objectives mesurables, où le cerveau de la personne à peu de place, moins l’effet placebo est observé »[3]. C’est pourquoi de nombreuses études s’intéressant au placebo s’effectuent dans le domaine de la douleur. Ce que l’on mesure en réalité ce n’est pas la douleur, mais la sensation de douleur ressentie par le patient.
En résumé, les effets non spécifiques sont une composante « indissociable » du traitement conventionnel.
3) Le rejet de la médecine conventionnelle
Le refus de la technicité
– Le mythe de l’explication simple.
Il laisse penser que les problèmes de santé auraient une origine simple et unique.
L’un des exemples est la médecine de Hamer qui postule que le cancer n’a pas, comme le prétend le corps médical, une origine multifactorielle, mais qu’il est du à un « choc psychique vécu dans la solitude ».
La psychanalyse en présente aussi un bel exemple puisqu’elle suppose qu’il suffirait, pour guérir, de faire resurgir un traumatisme initial. Alors écrivait Freud, « le symptôme était balayé et ne reparaissait plus ».
Le syndrome des faux souvenirs en est une autre illustration. C’est une résurgence de la « théorie de la séduction » initialement utilisée par Freud, et qui suppose que tous les problèmes viennent d’abus sexuels subis dans l’enfance.
– Le mode de pensée anachronique.
On nous explique qu’il faudrait fuir le progrès responsable de tous nos maux revenir à la nature, à la sagesse populaire, et aux médecines ancestrales. L’un des exemples les plus prisés est celui de la médecine chinoise, dont les siècles d’ancienneté constitueraient une preuve de valeur. En fait, l’espérance de vie à la naissance des Chinois était de 36,3 ans en 1960, à l’époque où la Chine s’est ouverte à la médecine occidentale. En quelques années l’espérance de vie a fait un bond extraordinaire et en 2005 elle est de 71,8 ans soit une augmentation de 98 % en 45 ans, alors que la France n’a progressé que de 14 % pendant le même temps et que l’amélioration de l’hygiène et de la nourriture ne sauraient expliquer une si rapide évolution.
La crainte des effets secondaires
-Le mythe de la solution parfaite
Il suppose qu’existeraient des traitements sans inconvénients ni effets secondaires. En fait les médecins ne raisonnent pas ainsi. Ils évaluent le rapport entre le bénéfice attendu et le risque encouru.
L’une des meilleures illustrations en est la vaccination. La vaccination antivariolique provoquait de nombreux effets secondaires. Malgré cela sa généralisation a permis d’éradiquer la variole sur l’ensemble du globe. Ainsi les générations actuelles n’ont plus à se faire vacciner. On a failli obtenir les mêmes résultats avec la poliomyélite, mais quelques responsables religieux africains, pour des raisons idéologiques, ont dissuadé les habitants de se faire vacciner. C’est pourquoi cette maladie doit toujours faire l’objet d’une vaccination, bien qu’elle soit disparue aujourd’hui de nos contrées.
On pourrait encore évidemment prendre l’exemple des anti-arythmiques et mieux encore des anticancéreux qui chaque jour sauvent des vies au prix d’effets secondaires notables.
La déshumanisation
Cette déshumanisation de la médecine est certes due en partie aux médecins, mais aussi bien souvent au patient et en premier lieu à la société.
– La société
Il y a un siècle le médecin de famille était une réalité. Le praticien qui venait s’asseoir à la table familiale connaissait les grands-parents et appelait les enfants par leur prénom. Il les avait généralement accouchés. L’évolution de la société, la mobilité et la mondialisation font que ces temps sont révolus.
– Les médecins.
Voici quelques données extraites d’une enquête IPSOS de février 2005:
– « En France les patients déclarent avoir pris en une semaine 1,6 médicaments « prescrits » contre 0,9 aux Pays Bas »
La première raison qui est avancée pour expliquer cette sur-prescription est qu’il est plus rapide de noter le nom de quelques médicaments sur une ordonnance que de passer du temps à expliquer aux patients… qu’ils n’ont justement pas besoin d’ordonnance.
– « 58 % des médecins français ressentent une attente de prescription pour les rhumes alors qu’une prescription n’est estimée nécessaire que pour 24 % des patients seulement »
On constate donc qu’il y a, entre patients et praticiens, un malentendu qui pourrait aussi expliquer la surconsommation de médicaments.
– Les patients.
Les patients ont une exigence de rapidité dans les résultats. Pour beaucoup d’entre eux le médecin est un marchand de soins. Certains médecins expliquent que des patients leurs téléphonent 24 heures après une prescription d’antibiotique pour se plaindre que ceux-ci n’ont pas encore fait effet.
On dit souvent que l’homéopathie n’a pas d’effets secondaires. Est-ce si sûr ? Quels adultes deviendront des enfants conditionnés à l’idée que tout dysfonctionnement doit provoquer un recours obligatoire au médicament, puisque le moindre « bobo » de leur enfance entraînait, en urgence, le recours aux granules salvatrices.
4) L’argument d’autorité
Puissance de la soumission à l’autorité
Est-il besoin de rappeler ici les expériences de Milgram faites à Yale entre 1960 et 1963 et dans lesquelles un sujet, pour quelques dollars, parce que cela lui était ordonné par un médecin en blouse blanche, pouvait appliquer à un inconnu des chocs électriques pouvant aller jusqu’à la mort (ces chocs électriques étaient évidemment fictifs, mais le sujet l’ignorait).
Un exemple caractéristique pris dans le bulletin du GEMPPI raconte l’histoire d’une enfant trisomique atteinte d’une leucémie qui est morte après avoir été retirée de l’hôpital sur les conseils d’une gourelle secondée par un médecin homéopathe. Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres, c’est la présence du médecin et la caution scientifique qu’il représente qui a été la première responsable de l’aveuglement des parents.
Les MNC pratiquées par des médecins ou « reconnues » sont les plus répandues
L’exemple le plus connu est évidemment celui de l’homéopathie. La France, seul pays où elle est pratiquée par des médecins et seulement par des médecins, consomme un quart des granules fabriqués dans le monde alors qu’elle ne représente qu’un centième de la population mondiale.
On peut aussi revenir sur l’ostéopathie dont la reconnaissance en France a provoqué une explosion des officines de formation. C’en est au point que les étudiants en ostéopathie font maintenant signer une pétition dans laquelle on peut lire : « le nombre de professionnels en ostéopathie est aujourd’hui estimé à 9000, le nombre d’étudiants en formation à 7400… À ce rythme, dans quatre ans, les effectifs des ostéopathes auront doublé en France, dans neuf ans ils auront triplé » « référence ».
Le rêve des pseudo-médecines : entrer à l’hôpital
Régulièrement des articles de journaux font état de la pratique hospitalière des médecines non conventionnelles : Sciences et Avenir « La liste des hôpitaux qui les pratiquent », Que choisir « Les médecines douces à l’hôpital », et bien d’autres encore.
Des pistes pour agir
Après avoir passé en revue les quatre piliers de la crédulité pseudo médicale, il est bon d’envisager les moyens d’agir.
Sur le public
Il existe évidemment une information indépendante : l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), le laboratoire Zététique de Nice Sophia-Antipolis et les diverses organisations Zététiques. Malheureusement ces organismes ne disposent que de peu de moyens de se faire entendre, tant leur discours va à l’encontre du mode de pensée majoritaire.
Il serait souhaitable qu’existe une information institutionnelle. C’est possible, si on considère, par exemple, que les campagnes d’information ont permis de faire chuter la consommation d’antibiotiques de 16 % entre 2002 et 2005. Alors pourquoi pas sur les MNC ?
On peut aussi rêver de disposer de médias qui allient compétence, déontologie et dont le seul but ne soit pas la recherche du sensationnel. Le « magazine de la santé » offre un exemple d’information médicale à la fois attractive et rigoureuse. Un tel travail pourrait être programmé lors des heures de grande écoute et on peut être sûr que les Français, très friands d’informations médicales, lui feraient le meilleur accueil.
Sur les médecins et les psychologues
Il serait souhaitable que soit enfin mise en place la formation continue prévue par la loi Juppé de 1996. Les Conseils nationaux de la formation médicale continue, installés en 2004 par le Pr Jean-François Mattéi, alors ministre de la santé, viennent d’être remis en cause et la formation reportée sine die par Roselyne Bachelot. On est en droit de se demander si ce type d’exigence ne fait pas l’objet d’un lobbying, dont le but serait d’en repousser le plus loin possible l’application, voire de la faire échouer.
Il faudrait aussi que l’ordre national des médecins fasse enfin appliquer un code de déontologie qu’il a lui-même rédigé. Rappelons que l’article 39 de ce code indique que « le médecin ne peut proposer au malade ou à son entourage comme salutaire et sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé ». Si cet article était appliqué, aucun médecin ne pourrait pratiquer les médecines non conventionnelles. Contrairement à ce qui est souvent avancé, ceci ne va pas à l’encontre de la liberté de prescription, puisque le code précise bien que celle-ci doit se faire « en tenant compte des données de la science ».
Les psychologues cliniciens formés dans l’idéologie psychanalytique devraient se former à la psychologie scientifique et aux thérapies comportementales et cognitives (TCC).
Il faudrait aussi que soient modifiés les comportements. Une piste est proposée par la revue Prescrire qui souhaite que l’élaboration des décisions thérapeutiques soit faite avec le soigné : « c’est ajouter du mal au mal que de considérer le soigné comme indigne de recevoir la formation qu’il sollicite, incapable de participer à une décision qui le concerne au plus haut… »[4].
Faire ou ne pas faire
Il est temps maintenant de revenir au sujet de ce colloque : doit-on établir un registre des « praticiens du corps et de l’esprit » autour de la notion de sectes.
Cette initiative amène à se poser quelques questions :
— est-il utile de créer une sorte de nouveau code de déontologie dans un domaine où la frontière entre sectes et non sectes est si difficile à établir.
— n’est-ce pas dangereux de procéder à une forme de légalisation, de reconnaissance, de caution, qui sera génératrice d’argument d’autorité ?
— est-ce le rôle d’une association anti sectes de se faire implicitement pourvoyeuse de clientèle pour des pratiques non reconnues ?
— le GEMPPI a-t-il les moyens de vérifier les engagements pris ?
— le GEMPPI ne risque-t-il pas d’être attaqué pour diffamation ou manque à gagner par un praticien télécommandé par une secte ?
— le GEMPPI est-il si pressé de se faire « noyauter » par des pseudo-praticiens qu’il leur demande d’adhérer en masse à son association ?
Les mystères du placebo
Pr Patrick Lemoine
Psychiatre, spécialiste des troubles du sommeil, de la dépression et des médicaments psychotropes, auteur de nombreux ouvrages et essais.
Je ne suis pas du tout spécialiste des dérives sectaires et j’en suis d’autant reconnaissant au GEMPPI de m’avoir invité aujourd’hui. Si j’ai bien compris, le projet de cette journée est de se confronter à ce questionnement : est-ce qu’il peut arriver que des professionnels de santé puissent à leur propre insu se livrer à des manipulations mentales comparables à celle que l’on peut observer dans certaines sectes agissant dans le domaine thérapeutique ?
Pour vous donner quelques références expérimentales, j’aimerais vous présenter une étude qu’on ne pourrait plus faire aujourd’hui pour des raisons éthiques, mais tout de même intéressante sur le plan théorique.
Vous prenez 2 sujets sains qui n’ont jamais pris de drogue de leur vie, vous leur dites qu’on va se livrer sur eux à une expérience tout à fait originale. On tire au sort et l’on donne à l’un de ces 2 sujets du LSD (drogue hallucinogène) et on donne à l’autre un placebo de LSD (produit inactif ayant la même apparence que le produit actif). Ensuite, on les place dans la pénombre et on les filme. Qu’a-t-on constaté dans cette expérience ? Les 2 sujets ont fait une expérience psychédélique extraordinaire, ont été complètement délirants et hallucinés.
Ensuite, on les sort de la pièce sombre au bout de 3 ou 4 heures et on les informe que l’un d’eux a reçu un placebo et l’autre un produit actif (LSD) et que le lendemain, l’expérience inverse sera effectuée, celui ayant reçu le placebo aura le produit actif et inversement pour l’autre. Le lendemain, après absorption des produits, aucun des 2 sujets n’a d’hallucination, aucun symptôme. Ceci indique bien que le message donné en début d’expérience, la croyance du sujet en l’efficacité d’une drogue, la force de conviction du thérapeute, la peur du ridicule (délirer quand on a reçu un placebo n’est pas flatteur) sont prépondérants en ce qui concerne les effets.
Peut-être aurez-vous des doutes parce que nous sommes dans la dimension psy et que préféreriez des éléments plus concrets, plus évidents ?
La manipulation mentale a t’elle un effet biologique mesurable en laboratoire ?
On sait bien que pour le rat de laboratoire, le complexe d’Œdipe, les évènements de vie, ont un impact assez modeste. Il y a eu des études assez surprenantes qui ont été faites. Vous prenez un rat de laboratoire, vous lui faites une incision sur le sommet du crane avec un bistouri sale, sous anesthésie générale. Vous lui mettez ensuite un gros pansement bien visible sur la tête et vous le réveillez. Une semaine après, vous mesurez les globules blancs et comme le bistouri était sale, il y a une augmentation des globules blancs montrant que le rat se défende contre les microbes. Vous refaites l’expérience 3 fois, anesthésie, incision sale, gros pansement et la 4ème fois, vous ne faites pas d’incision, mais vous gardez l’anesthésie et le pansement. Résultat : on observe que les globules blancs se multiplient de la même façon que quand il y a incision sale. Conclusion : on peut filouter les globules blancs à partir du moment où l’on est capable de faire la bonne manipulation mentale au bon moment.
On peut même aller plus loin dans cette idée. Vous injectez une tumeur cancéreuse à des rats de manière à ce que 50% des animaux la rejettent et que 50% développent la tumeur.
Ensuite vous tirez au sort 3 lots de rats. On met le premier lot de rat dans une cage et on le laisse tranquille. Le second lot de rats est mis dans une cage dont le sol est un grillage relié à un générateur qui envoie des chocs électriques dans les pattes des rats qui ne savent pas combien de temps va durer la douleur, ni quand elle commence, ni quand elle finit ; ils n’ont aucun contrôle sur le stress douloureux. Le troisième lot de rats est placé dans les mêmes conditions que le second, mais il dispose d’une petite manette qui permet d’interrompre les chocs électriques dans cette cage et aussi dans celle des rats du deuxième lot ; comme les rats apprennent très vite, ils actionnent la manette dès qu’il y a choc électrique.
Les groupes 2 et 3 ont donc exactement la même quantité de stress électrique douloureux, mais dans le groupe 2, les rats ne peuvent rien y faire tandis que dans le groupe 3, les rats ont le contrôle total de la situation. Au bout d’un mois, on sacrifie les 3 lots de rats. Comme ce qui a été codifié et prévu, dans le groupe 1, le taux de rejet de la tumeur atteint 54 %, dans le groupe 2, le taux de rejet est de 27 %, ce qui signifie que le stress douloureux incontrôlable est cancérigène. Mais le plus étonnant est le groupe 3, qui avait le contrôle du stress douloureux, le taux de rejet de la tumeur cancéreuse est de 63 %. Ce qui veut dire qu’un stress douloureux contrôlable est anti cancéreux. On est pourtant ici dans la biologie. Bien sûr, nous ne sommes pas des rats de laboratoire et certaines analogies sont parfois hasardeuses.
Mais il y a des choses importantes à savoir pour un médecin. Quelles sont les chances de survie d’une femme atteinte d’un cancer du sein, à grade, évolution et dangerosité égales ?
Qu’est-ce qui permet de dire que celle-ci à plus de chances de s’en tirer que celle-là ?
Un certain nombre d’études ont été faites et ont montré que c’est en réalité la réaction au moment de l’annonce du diagnostic qui détermine beaucoup de choses. Caricaturalement, on pourrait distinguer 2 groupes de femmes. Celles qui s’effondrent et qui disent qu’elles sont perdues et qu’il n’y a plus rien à faire, et celles qui veulent se battre, faire équipe avec leur médecin et qui pensent avoir encore des choses à faire ici-bas. On sait que celles qui sont combatives ont nettement plus de chances que celles qui sont effondrées. Ceci veut dire qu’il y a un stress dû à un diagnostic lourd et que dans un cas on a le sentiment qu’il n’y a pas le contrôle de ce stress, que c’est fichu, alors que dans l’autre on pense pouvoir contrôler la situation. Mais cela veut dire aussi que la manière dont le médecin va être capable de partager non seulement sa connaissance du cancer, mais aussi les risques et les chances de s’en sortir, les effets secondaires, de donner une information correcte quant à la manière d’annoncer le diagnostic et de donner le traitement, sera déterminante. De nos jours, pour un médecin, il est non seulement éthique de partager son savoir, mais en plus techniquement, il augmente de cette manière les chances de survie de sa patiente. Le médecin va induire ou non, un effet placebo, puisque l’effet placebo, c’est l’écart entre ce qui est attendu de ce qui est observé.
C’est ce qui permet d’augmenter, d’optimiser l’action pharmacologique spécifique de n’importe quel médicament.
Par exemple, vous avez mal aux dents, je vous donne de l’aspirine. Si je le fais avec conviction, ce traitement va faire encore plus de bien qu’attendu. Normalement l’aspirine commencera à faire effet au bout de 20/25 minutes et durera 3 heures. Si je crois vraiment à ce que je fais, elle fera effet au bout de 5 minutes et durera éventuellement 5 heures. Voici un effet placebo. Par contre si vous ne me croyez pas, ou si je n’y crois pas, non seulement le traitement ne va pas bien marcher, mais en plus, il pourrait y avoir un effet nocebo. (Nocebo signifie : je nuirai) L’effet placebo qui repose sur la conviction, participe à l’efficacité d’un traitement et modifie non seulement des paramètres psychiques, comme la douleur, l’insomnie, mais également des paramètres biologiques, comme le nombre de globules blancs, le taux de cholestérol, la tension artérielle, le diamètre pupillaire, l’acidité gastrique… Des études portant sur plus d’un an ont été faites sur des contrôles de d’hypertension artérielle, légères, certes, pour mesurer l’effet de la conviction sur ce paramètre objectif.
À partir de là, on peut se poser la question de savoir ce qui va faire que le médecin est dans une pratique correcte, c’est-à-dire se sert de son charisme, de sa conviction, de sa compétence, de sa notoriété, de sa capacité relationnelle pour améliorer l’efficacité de ce qu’il prescrit, ce dont personne ne pourra se plaindre.
Mais charisme ne signifie pas charlatanisme !
Qu’est-ce qui va faire qu’à un moment, il pourra peut-être aller un peu trop loin et basculer du côté des charlatans ? C’et à dire bluffer, influencer, proposer des traitements inefficaces en n’y croyant pas forcément lui-même et donc, avoir des résultats étranges. Cette discussion entre l’effet placebo et le charlatanisme n’est pas nouvelle.
La médecine n’a eu à sa disposition que des placebos depuis le Code d’Hammourabi (2500 ans avant JC) jusqu’au XXème siècle. Sur les 750 substances listées dans le Code d’Hammourabi, qui vont du sabot d’âne pulvérisé et grillé, jusqu’au liquide spermatique de grenouille putréfiée, (ce qui est très difficile à produire de nos jours !!!), il ne reste pas grand-chose, sinon le pavot dont on tire l’opium et la digitale. Ce sont les seules substances toujours utilisées de nos jours et qui ne soient pas des placebos.
Le premier médicament véritable est apparu au XVIIIème siècle. C’est la Comtesse de Chinchon qui l’a importé : l’écorce de quinquina de laquelle on tire la quinine. Le pavot était auparavant prescrit pour tout et n’importe quoi, ce qui n’en faisait pas un médicament puisqu’il n’avait pas d’indication revendiquée. Par contre, l’écorce de quinquina, la quinine, était un anti-fièvre, ce qui en fait le premier médicament de l’histoire. On peut donc considérer que Molière n’avait pas tort de se moquer des Diafoirus et autres utilisateurs de latin de cuisine puisqu’il n’y avait presque que du placebo jusqu’au XXème siècle. Je mets à part bien-sûr la chirurgie et toutes les manipulations pré kinésithérapeutiques, entorses, lombalgies, etc.
Le fait que jusqu’à une époque récente, les médecins utilisaient du latin de cuisine, qu’ils se montraient arrogants, étaient dans le bluff, prélevaient de l’argent (voir le malade imaginaire de Molière) suffirait-il à les considérer comme des instruments de dérives sectaires ? Au fond, il n’y avait rien de scientifique dans leurs pratiques, ce qui ne les empêchait pas de se faire payer et tout le monde était tenu d’y croire. Rappelons-nous dans Don Juan de Molière, le serviteur dit à Don Juan : « Comment monsieur, vous êtes incroyant aussi en médecine ? »
C’était à l’époque aussi extraordinaire d’être incroyant en religion qu’en médecine
Nous voyons là que la question de la croyance est une chose importante dans la pratique médicale. Par exemple, si l’on regarde de plus près la théorie des humeurs qui a régné d’Hippocrate jusqu’au XVIIIème siècle, on s’aperçoit qu’il en reste des séquelles jusqu’à nos jours. On voit effectivement que le mot hormones a remplacé celui d’humeurs dans l’esprit du public et qu’il n’y a pas beaucoup de différences entre les 2 termes. Les 4 humeurs d’Hippocrate, d’Aristote, de Gallien étaient d’une fantaisie extraordinaire. Des fadaises n’ayant strictement rien de scientifique. Par exemple, dans les 4 humeurs, la mélancolie ou l’humeur noire, n’a jamais existé physiquement. C’était une pure construction intellectuelle, mais vous n’aviez pas intérêt à dire le contraire si vous étiez étudiant en médecine, sinon non seulement vous n’obteniez pas votre diplôme, mais vous pouvez éventuellement être brûlé sur un bucher car l’Inquisition n’aimait pas qu’on critique ce genre de vérités canoniques. Rabelais qui a beaucoup critiqué tout cela, notamment l’existence de la corne de licorne, disait : « Je ne vais pas trop insister parce que cela sent vite le roussi ». Et quand il disait roussi, il est clair qu’il désignait les bûchers de l’Inquisition.
Les médecins sont-ils dans une dérive sectaire lorsqu’ils utilisent des croyances « scientifiques » totalement fausses ou fantaisistes qu’ils imposent à leurs patients ?
Oui et non.
Oui, parce qu’effectivement, il s’agit bien de manipulation mentale, parce qu’il n’y a là rien de scientifique et que finalement cela coûte tout de même de l’argent aux patients, pour un bénéfice, en termes de santé, qui est assez mince.
Non, parce que l’intentionnalité n’a rien de sectaire et qu’à l’époque on était pas du tout dans une démarche de médecine efficace. La question n’était pas là. La thérapeutique était complètement secondaire. Selon Ambroise Paré, qui d’ailleurs était chirurgien-barbier et non médecin, la mission du médecin était modeste, mais essentielle : « Je le pansais, Dieu le guérit ».
Le médecin n’était qu’un intermédiaire entre les patients souffrants et une divinité rendue bienveillante grâce à ses bons offices. Notons, que le terme « patient » à la Renaissance désignait le condamné à mort en attente de son exécution. Finalement, nous sommes tous des patients, mais pas très pressés quand même !
Le rôle du médecin était : diagnostic, pronostic et consolation.
Diagnostic
Quand un serf, un vilain, un seigneur venait voir le médecin pour un mal au ventre, s’il tombait sur un bon clinicien, celui-ci l’interrogeait, l’examinait et soit lui trouvait un processus inquiétant, soit au contraire, lui trouvait « un flux de ventre » parce qu’il avait mangé quelque chose de mauvais la veille. Dans ce dernier cas, il disait au patient que ce n’était pas grave et lui prescrivait une tisane et une diète et pronostiquait une guérison dans les 2 jours. Dans le cas où par exemple il palpait une masse inquiétante, le médecin disait alors à son patient de mettre ses affaires en ordre, d’appeler un prêtre car il ne pouvait plus rien pour lui. Il avait donc un rôle de pronostic et normalement comme tout médecin, il était compatissant, et consolait son patient. C’était certes un charlatan en ce qui concerne les purgations, les saignées, mais c’était aussi un médecin avec ce que cela comporte d’honorable, en ce qui concerne le diagnostic, le pronostic et la consolation. Tout cela ressemble un peu aux croyances et pratiques médicales non conventionnelles actuelles.
On sait bien que la médecine ne pouvait pas être anodine et que toutes ces purgations et saignées étaient toxiques et calamiteuses. Dans cet ordre d’idée, une étude a été faite à Marseille en 1832 lors d’une terrible épidémie de choléra pour comparer les effets de l’homéopathie à ceux de la médecine classique d’époque. Il en a résulté que l’homéopathie a fait beaucoup mieux, non pas parce qu’elle était efficace sur la maladie, mais parce qu’elle tuait moins que la médecine officielle qui passait son temps à purger et saigner les cholériques, ce qui les affaiblissait d’autant plus. Les homéopathes, de ce fait, ont tué moins de gens que les médecins officiels et, par défaut, se sont révélés moins dangereux.
Autre vecteur possible de dérives : l’argument d’autorité
Le cas de Linus Pauling, double prix Nobel de chimie et de la paix, est un bon exemple. Un beau jour, Linus Pauling publie un livre avec ce titre « Comment éviter d’attraper le rhume, par un prix Nobel ? » Il ne précise pas qu’il n’est pas prix Nobel de médecine. Il explique dans son livre qu’il ne faut pas donner de médicaments exogènes (qui ne proviennent pas du corps humain) mais qu’il faut tout traiter avec des produits qui viennent de préférence du corps humain ou en tout cas de la nature. D’après lui aussi, la vitamine C à très haute dose est une panacée, soignant tout, cancer, schizophrénie et surtout le rhume et la grippe. Face à l’autorité que confère le titre de prix Nobel, qui certes n’en connaissait pas plus que ma concierge en médecine, tout le monde a respecté cet avis et a fait la fortune de quelques laboratoires pharmaceutiques. Cependant, certains se sont tout de même risqués à faire des études. On a recruté un certain nombre de personnes en bonne santé que l’on a scindées en 2 groupes tirés au sort. Les uns ont pris de la vitamine C à dose constante pendant tout l’automne et l’hiver jusqu’au début du printemps. Les autres ont reçu dans la même période un placebo de vitamine C. L’expérience a été menée en double aveugle, c’est-à-dire que ni les volontaires, ni les prescripteurs ne savaient qui recevait la vitamine C ou le placebo. Résultat, au printemps, on a constaté qu’il n’y avait pas de différence significative pour la grippe mais que par contre pour le rhume l’étude suggérait une efficacité de la vitamine C. On s’est alors dit que Pauling était vraiment un génie qui méritait bien un 3ème prix Nobel ! Mais de mauvais esprits ont voulu approfondir cette étude. Ils ont défini 4 groupes :
1-Ceux qui ont pris de la vitamine C et qui étaient persuadés d’avoir pris de la vitamine C
2- Ceux qui ont pris du placebo et qui étaient persuadés d’avoir pris du placebo
Négligeons ces deux premiers groupes et :
3- Ceux qui ont pris de la vitamine C et qui étaient persuadés d’avoir pris du placebo
4-Ceux qui ont pris du placebo et qui étaient persuadés d’avoir pris de la vitamine C
Ce sont eux qui nous intéressent.
Résultats : les volontaires du groupe 4, ceux qui ont pris du placebo en étant persuadés d’avoir pris de la vitamine C, ont eu moins souvent de rhumes que ceux qui ont pris de la vitamine C et qui étaient persuadés d’avoir pris du placebo en recevant de la vitamine C (groupe 2)
De cela, nous pouvons tirer cette conclusion qu’à partir d’une théorie fumeuse de Linus Pauling, avec un bel habillage scientifique et un argument d’autorité, le prix Nobel, en manipulant bien les gens, en les mettant dans des conditions expérimentales adéquates, on arrive à les prémunir plus efficacement contre le rhume, en s’assurant simplement de leur conviction. Faut-il dès lors considérer la médecine ortho moléculaire prônée par Pauling comme une dérive sectaire ? À chacun de répondre en son âme et conscience.
Mais dans tout cela, le plus important est la conviction du médecin
Un bel exemple est l’observation du Dr Wolf, un interniste américain d’un très grand niveau et d’une honnêteté scientifique sans faille. Et surtout d’une insatiable curiosité. Ce médecin soignait un asthmatique. Il faut savoir que l’asthme est une maladie grave et organique bien qu’elle puisse avoir des déclenchements psychologiques. L’asthme tue des centaines de personnes par an en France y compris des jeunes. Le Dr Wolf soignait un asthmatique depuis 18 ans. Celui-ci présentait des crises extrêmement sévères et aucun traitement ne marchait. D’ailleurs, à l’époque, à part la Théophylline, il n’y avait pad grand-chose comme traitement. Mais un jour, ce médecin lit une publication à propos d’un médicament paraissant très prometteur et non encore commercialisé. Il écrit au laboratoire et demande des échantillons à titre humanitaire pour son patient dont l’état était très préoccupant. Il reçoit les échantillons, les lui remet, et… dès le lendemain celui-ci n’a plus de crise d’asthme pendant 15 jours. Il n’en croit pas ses yeux. Il se demande si ce n’est pas un effet placebo. Cette fois, il demande des placebos de ce médicament (c’est-à-dire avec la même présentation, mais sans principe actif) au laboratoire qui les lui envoie aussitôt. Il les remet à son malade qui dès le lendemain rechute. Après 15 jours, il recommence avec les placebos et le patient rechute encore. Mais comme il était têtu, ce brave Dr Wolf fait 5 nouvelles périodes d’essais. 3 périodes de 15 jours sous placebo et 2 périodes de 15 jours avec le médicament actif. Il observe que la guérison survient à chaque fois que le médicament actif est administré et que lorsque le placebo est donné c’est la rechute du patient qui survient. A la fin de ce cycle, il écrit enfin au laboratoire : « Après, les essais que j’ai effectués, on peut considérer que votre produit est efficace au regard de la réaction de ce patient ». Quelques jours après, il reçoit cette réponse : « Cher monsieur Wolf, depuis le début, vous n’avez reçu que du placebo »
Conclusion : D’un point de vue moral, c’est vilain de mentir ! Ensuite, il est préférable que les médecins ne mentent pas car ce ne sont pas des professionnels de la comédie et du mensonge. Quand le Dr Wolf y croyait, son patient allait mieux. Le patient devait sans doute, à chaque consultation, capter un message dans l’attitude et les mimiques du médecin, même peu perceptible, inconscient, qui indiquait s’il croyait ou non au traitement qu’il lui administrait.
Je pourrais vous citer des dizaines d’études sur des placebos impurs, c’est-à-dire des substances qui n’ont pas prouvé leur efficacité, comme le magnésium, la vitamine C, des produits pour la circulation ou pour la mémoire. À chaque fois que le médecin est convaincu de l’efficacité du produit, l’effet thérapeutique était au rendez-vous et inversement, dans le cas d’absence de conviction du médecin, le produit était inefficace.
On pourrait dire que parler de secte ou de manipulation mentale dans ce genre de cas est excessif. Pour cela, il faudrait qu’il y ait des ponctions d’argent ou une aliénation de l’individu. Peut-on dire qu’il y a quelque chose qui dans le comportement du médecin pourrait faire penser à de la manipulation mentale ?
Pour essayer de comprendre cela, je propose de vous mettre dans la peau d’un martien qui sortant de sa soucoupe volante viendrait faire une thèse d’anthropologie sur les malades et thérapeutes habitant notre planète.
Que pourrait-il observer ?
Il repère un simple quidam, qui est brutalement terrassé par un mal de ventre. Inquiet, le quidam passe automatiquement du statut de citoyen à celui de patient ou assuré social selon le point de vue adopté. Il sonne à la porte d’un immeuble à l’entrée duquel est apposée une plaque de cuivre « Docteur Untel, médecine générale ». Un homme lui ouvre la porte, vêtu d’une sorte d’habit sacramentel, la blouse blanche. Il porte aussi autour du cou, une espèce de collier fétiche comportant un grigri de couleur argentée, appelé stéthoscope. À ce personnage, il convient de dire « Bonjour docteur ». Il n’y a que très peu de métiers où le titre précède le nom. Les avocats, les notaires, les ambassadeurs, certains notables, les cardinaux, mais cela reste rare. Si vous dînez en ville, on dira à l’avocat ou au notaire : « Asseyez-vous monsieur », au médecin, on dira généralement : « Asseyez-vous docteur ». Ceci évoque le fameux docteur Knock de Jules Romain. C’était le roi des charlatans, il marchait à fond dans le placebo et dans la dérive thérapeutique, voire sectaire, puisque l’objectif n’était pas d’aider son prochain, mais de faire du profit et d’embrigader tout un canton. Le Dr Knock exigeait qu’en toutes circonstances, même sa famille et ses amis, on l’appelât « Docteur ». Il avait repéré que cette distance sacralisée augmentait l’efficacité de ce qu’il prescrivait.
Vous pourrez observer le comportement stéréotypé que vous pouvez adopter lors d’une consultation médicale. Vous entrez, saluez le « docteur », vous vous installez dans un bureau, en principe avec un décor très codifié, si vous êtes dans les beaux quartiers, il sera en acajou, style Empire, ailleurs en formica et plastique.
Premier actede la consultation. (Notez au passage que l’on consulte, de même que l’on honore le médecin, on ne le paie pas !) S’instaure alors une étrange traduction simultanée. « Docteur, j’ai mal au ventre », réponse : « C’est peut-être une gastralgie !» ; « Oui, mais je n’ai plus mes règles », « C’est surement une aménorrhée ! » ; « Et mes maux de tête ? », « Ce sont des céphalées ! ». Ainsi, au fur et à mesure que l’entretien progresse, vous être projeté dans une espèce de monde parallèle, ésotérique. Tout ce que vous dites est réinterprété, comme si vous étiez en compagnie d’un oracle, quasiment dans une autre dimension.
Deuxième acte: la danse rituelle. Le patient, en principe, dans le plus simple appareil, se met dans une posture de soumission, c’est-à-dire allongé. Il n’y a que le médecin, d’ailleurs, qui ait le droit de faire cela, d’allonger quelqu’un tout nu et de le toucher. À ce moment, le médecin se met à tourner autour du patient, le palpe, l’ausculte, percute, examine, il peut même pénétrer et s’il est chirurgien, il peut même légalement inciser et ôter.
Troisième acte : le parchemin sacré. Quelle chose extraordinaire que la prescription !
Avez-vous déjà remarqué le soin avec lequel les médecins choisissent le papier de leur ordonnancier, le filigrane, la calligraphie de l’entête, le nombre de diplômes et de spécialités mentionnées, qui d’ailleurs deviennent de plus en plus exotiques et extraordinaires de nos jours ? Parfois, il est fait mention des médailles, légion d’honneur ou mérite, en dessous des diplômes et spécialités et s’il reste encore un peu de place, le médecin écrit systématiquement de manière illisible ! Cela est une règle générale que j’ai vérifiée dans les pays arabes et en Chine. Seul son acolyte le pharmacien, a le droit de déchiffrer l’écriture sacrée. Et si le médecin se trompe, sur la date, l’orthographe, ou le nom du patient, vous n’avez légalement pas le droit de modifier quoi que ce soit à l’ordonnance médicale. Pour cela vous devez retourner chez le médecin pour faire la modification utile.
Au moyen-âge il n’y avait pas beaucoup de médicaments et quand on était malade on faisait des pèlerinages. Les thaumaturges travaillaient beaucoup sur le calembour. Par exemple, si vous boitiez, vous alliez voir Saint Claude, à cause de la claudication. Si vous aviez une maladie de peau, vous alliez voir saint Cloud, si vous aviez une maladie du cuir chevelu, c’était Saint Ignace qu’il fallait voir (à cause de tignasse). Pour les hémorroïdes, Saint Fiacre était indiqué… ce moyen de transport étant sans doute assez pénible quand on souffrait de cette affection…
Evidemment, vous allez penser que c’était le Moyen-âge, une lointaine époque primitive. Alors voyons ce que l’on trouve de nos jours. Par exemple, les Fleurs de Bach, une jolie, une poétique dérive thérapeutique, qui guérit toutes les maladies grâce aux fleurs. Là aussi on fonctionne comme au Moyen-âge avec des calembours. Si vous avez les jambes qui remuent toutes seules, devinez laquelle est préconisée ? L’impatiens (pour les impatiences). Si vous êtes claustrophobe, vous prendrez des noix, en raison d’un jeu de mots anglais (walnut pour the wall qui enferme…). Mais la médecine officielle ne fait pas très différemment, mis à part qu’elle utilise des produits actifs. Par exemple, si vous êtes fatigué, que vous êtes déprimé, on vous donnera du Survector, du prozac, ou de l’Ascencyl qui vous élève jusqu’aux paradis sanitaires ou du Sérésta (sérénité-stabilité), pour le glaucome : Glaucostat stabilise le glaucome…
On évoque la maladie ou on invoque la guérison, comme les sorciers en Afrique ou dans d’autres ethnies. L’ethnie occidentale n’est pas différente des autres. L’une des illustrations les plus amusantes est le Viagra. Ce mot a été forgé par les publicistes, il s’agit d’une combinaison de vigueur et Niagara, qui est le lieu des voyages de noces des américains. De ce fait, le Viagra a eu un peu plus de mal à s’imposer en Europe, sans doute parce que le Niagara n’évoquait rien pour les habitants de notre continent, qui pour leur voyage de noces vont plutôt à Venise. Vianise eût sans doute mieux parlé ! Nous sommes dans une évocation magique de la guérison.
De même la symbolique des couleurs a beaucoup d’importance dans l’efficacité du médicament. Une étude a été faite sur l’impact des couleurs de médicaments anxiolytiques. Deux groupes de sujets ont été testés. Le premier groupe a reçu un anxiolytique de couleur verte et le second groupe a reçu le même produit et avec la même posologie, mais de couleur rose. Il s’est avéré que le rose est plus efficace que le vert. Du coup, les laboratoires ont beaucoup travaillé sur la couleur appropriée des médicaments en fonction des maladies. Les publicistes ont découvert que le jaune ou le rouge vifs fonctionnent mieux pour les gens fatigués, que le rose va bien pour les anxiolytiques, le bleu marche mieux pour le sommeil et le marron convient aux problèmes digestifs (sic !).
La taille d’un comprimé est aussi très importante. Pour le public, l’étalon ou le comprimé standard est blanc et rond. C’est celui qui est donc le moins efficace. Mais si vous prenez un énorme comprimé, une gélule difficile à déglutir, vous penserez qu’elle est efficace parce qu’elle contient énormément de substance. Au contraire, le micro comprimé, minuscule, est supposé contenir une toute petite quantité d’une substance surpuissante.
Je pourrais vous citer beaucoup d‘autres exemples de ce type, tendant à montrer qu’en médecine, on est loin de pouvoir résumer la thérapeutique à la chimie et que toutes ces « manipulations mentales » modifient peu ou prou la puissance des remèdes objectivement efficaces. En matière de douleur, par exemple, il a été démontré que l’effet placebo des antalgiques varie de 4% à 86%, ce qui est énorme. Quatre pour cent correspond à la douleur expérimentale exercée sur des cobayes volontaires et rémunérés, sachant qu’ils avalent un placebo ou un médicament actif et qu’on leur inflige ensuite une légère douleur chimique ou thermique. Dès que la douleur se présente le volontaire réagit et elle cesse automatiquement. Ils n’ont donc aucune raison de la contrôler par un effet placebo. En revanche, les douleurs pour lesquelles on craint la mort, l’angine de poitrine, la colique néphrétique, le placebo fonctionne à plus de 80%. C’est donc quand la douleur est importante et porteuse d’angoisse que le placebo fonctionne le mieux. L’histoire du traitement de l’angine de poitrine en est un bel exemple. Il y a quelques décennies, les chirurgiens italiens proposaient une chirurgie extraordinaire pour traiter l’angine de poitrine : la sténose de l’artère mammaire. Chirurgie lourde où l’on ouvrait le thorax, on clampait l’artère mammaire pour provoquer dans la partie supérieure une surpression des circulations sanguines collatérales, ceci étant supposé favoriser une néo-irrigation du myocarde. Les résultats affichés étaient fantastiques, le succès planétaire fut répercuté dans des revues médicales renommées jusqu’au jour où 2 équipes allemande et américaine se sont mises à étudier le phénomène de plus près, suite au décès d’un certain nombre de patientes sur la table d’opération.
Il convenait de procéder à quelques vérifications avant de généraliser le procédé. Ainsi ces équipes utilisèrent le protocole suivant : les patientes à qui l’on avait préalablement précisé qu’elles allaient subir l’opération, étaient ensuite tirées au sort pour former 2 groupes et une fois endormies, les chirurgiens ouvraient le papier du tirage au sort et était informés juste à ce moment si la patiente faisait partie du groupe des vraies opérées ou si elle faisait partie du groupe des opérations placebo, qui consistaient à endormir la patiente, lui faire une simple incision superficielle, recousue et recouverte d’un pansement semblable à celui des vraies opérées. Ce genre de procédé ne pourrait plus se faire de nos jours pour des questions éthiques que tout le monde peut comprendre. Au bout de 6 mois les résultats ont été les suivants : il n’y avait aucune différence entre les 2 groupes, sauf une patiente améliorée du point de vue de l’électrocardiogramme, mais elle appartenait au groupe placebo. Les publications médicales annonçant la survie assurée des patientes grâce à cette technique s’étaient fourvoyées. Là encore, on peut voir que la conviction a un rôle prédominant.
Encore une fois, n’y aurait-il pas des médecins qui seraient dans la dérive thérapeutique ou sectaire à leur insu ?
En réponse, je donnerais l’exemple de l’homéopathie, qui comme la psychanalyse, fait partie des religions révélées : un texte fondateur, celui de Hahnemann pour l’homéopathie et celui de Freud pour la psychanalyse. Sont excommuniées toutes les personnes qui osent s’opposer au dogme. Freud a effectivement rejeté un nombre considérable de personnes. Il n’y a qu’un hérétique que Freud n’a pas connu, c’est Lacan, qui fera florès par la suite, mais qui excommuniera lui aussi à de nombreuses reprises. Selon l’épistémologue Popper, « une démarche n’est scientifique que si elle est réfutable et si elle a une puissance explicative limitée ». Freud expliquait tout avec la psychanalyse considérée par lui comme irréfutable. (Je ne suis pas anti psychanalytique et je me sers des concepts de la psychanalyse dans ma pratique clinique). Quand Freud énonçait une interprétation et que l’analysant était d’accord, il voyait là une confirmation de sa doctrine, mais s’il n’était pas d’accord c’est qu’il avait des résistances. Il avait donc toujours raison, était irréfutable ! Cette pratique s’appuyait beaucoup sur l’argument d’autorité. Avec une telle approche, la psychanalyse a pu ensuite s’appliquer à tout, à l’histoire, à la littérature, à l’art, la politique… Puissance explicative infinie à l’opposée de la théorie véritablement scientifique de la relativité d’Einstein qui, elle, est réfutable et n’explique pas tout.
On trouve un schéma assez semblable avec l’homéopathie, que je soutiens aussi malgré les apparences, car malgré certaines (rares) dérives véritablement sectaires, joue un rôle important dans le paysage médical français.
Pour être caricatural, il existe deux types d’homéopathes, qui sont par ailleurs des médecins diplômés. Si vous avez mal au ventre et que vous allez voir un homéopathe, s’il diagnostique une appendicite par exemple, il vous envoie chez le chirurgien, s’il découvre une masse douteuse, il vous envoie vers un centre anti cancéreux, il traite s’il s’agit d’une colopathie fonctionnelle. Et il traite mieux que le médecin allopathe ! Donc, il oriente quand le processus est organique, évolutif ou létal et il traite lui-même lorsque c’est fonctionnel. L’homéopathie est probablement la meilleure manière d’optimiser l’effet placebo. S’il trouve une diarrhée, une douleur ou quelque chose de semblable, il se dit que c’est une colopathie fonctionnelle et il la traite avec l’homéopathie, qui vaut le plus souvent mieux que la médecine allopathique qui n’est guère efficace pour les maladies fonctionnelles (insomnies, fatigues chroniques, etc.) et qui engendre souvent de nombreux effets secondaires. Dans ce cas, le remède est souvent pire que le mal. L’allopathie n’est vraiment efficace pour les maladies « dures ».
La deuxième catégorie d’homéopathes est en voie de disparition, heureusement ! Ce sont ceux qui traitaient tout, même l’organique grave avec l’homéopathie, ce qui avait pour effet de conduire un certain nombre de patients au cimetière.
Si je parle de placebo pour l’homéopathie, c’est qu’à partir du moment où selon la loi d’Avogadro il n’existe plus une seule molécule après les dilutions dans les produits homéopathiques et qu’aucune étude n’a démontré quoi que ce soit d’objectif sur son efficacité, il est difficile de lui prêter une action pharmacologique spécifique. En revanche, l’homéopathe est le plus souvent un praticien honnête, rempli de convictions, qui respecte la personne qui le consulte, en la traitant comme un tout et non pas comme un organe. Les homéopathes sont dans le partage de la connaissance, ils croient à ce qu’ils font et donc ils expliquent beaucoup. Ils prennent plus de temps, se font payer plus cher et donnent des mystérieuses petites pilules portant des noms extraordinaires. Tout cela optimise l’effet placebo.
On a besoin de médecins diplômés qui occupent du champ de la placebo-thérapie, sinon les gens iront voir des gourous, des sorciers, des guérisseurs, qui peuvent être très bon pour déclencher un effet placebo… mais ils n’ayant pas fait d’étude, n’ayant pas de diplôme de médecine, ne pouvant pas demander d’examens complémentaires, ils se montrent incapables de faire un diagnostic sérieux. Faire des « passes magnétiques » sur une colopathie fonctionnelle marche surement, mais en cas de cancer, l’affaire devient dangereuse.
Je crois donc en l’utilité de l’homéopathie, comme en celle de la psychanalyse, dans la mesure où leur objectif est d’aider leur prochain et de le traiter en se référant aux données actuelles de la science. Mais si l’on est dans le bluff, l’intérêt financier prédominant, nous entrons dans une dérive terrible, d’autant plus qu’il est très facile de démontrer tout ce que l’on veut, ou de tromper par les apparences. Le public s’imagine que la démonstration est faite dès qu’un effet est organique. Rappelons-nous l’expérience faite à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris, il y a quelques années, par un grand médecin, Charcot. Il conditionnait une hystérique, lui mettait une pièce de monnaie dans la main en lui disant qu’elle était chauffée au rouge, et la patiente se réveillait avec des cloques dans la main. La pièce, évidemment n’était pas chauffée et seule la persuasion avait produit cet effet. Il est aisé d’abuser les gens, car malheureusement quand on est malade, on est beaucoup plus vulnérable, plus à la merci des gens, surtout s’ils ont une certaine notoriété.
En conclusion, je dirai que comme mon confrère François Rabelais, je pense que « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ou de l’art. »
Discussions
Question : Vous semblez globaliser l’effet placebo, ce qui est considéré comme une erreur, car l’effet placebo comprend la guérison naturelle (beaucoup de maladies guérissent d’elles-mêmes sans aucune intervention). Donc, je préfère parler d’effets non spécifiques plutôt que d’effets placebo. Par ailleurs, il faut bien distinguer l’objet placebo de l’effet placebo. On n’a nul besoin d’un objet placebo pour produire un effet placebo. Si l’on souhaite obtenir un effet placebo maximum, il faut l’associer à un traitement efficace, de ce fait je pense qu’il faudrait que les médecins se chargent à la fois du traitement allopathique et de l’effet placebo, plutôt que d’avoir un partage des ces moyens entre les uns et les autres. Qu’en pensez-vous ?
Patrick Lemoine. Vous avez totalement raison de faire la distinction entre l’évolution naturelle vers la guérison d’un bon nombre de maladies et l’effet placebo induit par le soin et c’est d’ailleurs tout l’objet des essais contrôlés.
Pour préciser ma pensée, je dirai clairement que globaliser l’effet placebo est une erreur. Il existe des domaines ou l’effet placebo d’un médicament est modeste, sur le coma dépassé par exemple ! En revanche l’effet placebo est majeur pour la douleur, l’insomnie, l’ulcère, la psychosomatique… Il existe même dans le cancer, le SIDA… Je pense sincèrement que l’homéopathie doit être protégée, même si elle ne travaille que sur l’effet placebo. Je pense que tous les médecins usent de l’effet placebo, y compris à leur insu, mais ils ne sont pas bons dans tous les domaines en matière de placebo. Par exemple, l’étudiant en médecine, en fin d’études, de tempérament mesuré, raisonnable, qui prend son temps, et qui après un stage en gériatrie est incité par son patron à prendre un sujet de thèse sur la gériatrie. Après avoir réussi son diplôme, il s’installe et quand les vieilles dames viennent le consulter, enlèvent leurs 2 corsets, leurs 14 gilets, leurs 3 paires de bas, il reste égal à lui-même, très doux, il ne s’énerve pas, il prend le temps de les écouter. Par contre, avec les adolescents, le courant passe mal, et pour cause ! D’ailleurs, de plus en plus rares sont ceux qui viendront à sa consultation. Par contre, petit à petit, les vieilles dames se feront de plus en plus nombreuses. Elles sont très contentes de lui et en parlent à leurs amies. Elles ne manqueront pas de lui dire toute leur satisfaction. Notre médecin fréquentera les congrès de gériatrie, se cultivera sur le sujet et finit à la longue par devenir l’un des meilleurs médecins en gériatrie et… sera encore plus mauvais chez les adolescents. Avec ses patientes âgées, il va y avoir un commerce de plaisir, d’où l’origine du mot placebo : je plairai, je te ferai plaisir, tu me feras plaisir. Le plaisir de l’un est d’être guéri et celui de l’autre est de réussir à guérir. Donc ce commerce de plaisir fera que le médecin sera placebo inducteur pour une certaine catégorie de patients. Notre médecin aura un effet placebo majeur sur ses patientes âgées et un effet placebo quasiment nul, voire un effet nocebo chez les adolescents. Ainsi à partir d’une petite différence de caractère, une sélection de patientèle s’opère. Le principe de l’effet placebo s’applique aussi à toutes les autres techniques (chirurgie, acupuncture, homéopathie…). Si le placebo n’est rien d’autre que de la poudre de perlimpinpin, c’est-à-dire rien du tout, l’effet placebo par contre procède de l’alchimie de la relation médecin/patient et permet l’optimisation d’un traitement.
Question : Selon des études récentes, il ressort que l’effet non spécifique (placebo) s’établit au contact du médecin/patient pour des pathologies qui font appel à l’interprétation par le cerveau. Qu’en pensez-vous ?
Patrick Lemoine. Effectivement, c’est ce qui ressort d’une publication récente sur la maladie de Parkinson qui provient de la destruction des noyaux gris centraux. Si vous donnez de la L Dopa à un parkinsonien, il va mieux. Quand on lui donne un placebo à la place et qu’on vérifie si ça marche ou pas, on s’aperçoit avec une caméra à positrons qui permet de voir le fonctionnement du cerveau, que chez les malades répondent positivement au placebo de L Dopa, ce sont les mêmes noyaux neuronaux qui s’allument dans le cerveau que ceux qui réagissent lorsqu’on administre de la vraie L Dopa. Cette expérience prouve que ce qui fait que le placebo est efficace, même pour les maladies organiques, c’est que le cerveau comprend : « je te donne de la L Dopa qui va te faire du bien », interprète le message et donne ensuite l’ordre à la partie du cerveau concernée de réagir positivement.
Pareillement, ce sont les zones les plus riches en endorphines du cerveau qui réagissent quand on donne un placebo d’antalgique. Ceci donne des résultats mesurables et quantifiables. L’effet placebo reposerait sur la capacité du cerveau à synthétiser des médicaments endogènes. En revanche, à ma connaissance, personne n’arrive à comprendre comment se il fait que le cerveau soit capable de choisir le type de médicament adéquat, les endorphines en cas de douleur, la dopamine en cas de maladie de Parkinson, la sérotonine en cas de dépression… On ne sait pas où se trouve la gare de triage. Peut-être dans le thalamus ? Pour ma part, je suis convaincu que l’effet placebo passe en partie par l’organique, le biologique.
Question : Comment reconnaitre la conscience du thérapeute dont vous avez parlé ?
Patrick Lemoine. Toute la question est là. On peut s’abuser soi-même. J’ai vécu une situation qui peut l’illustrer. J’étais jeune assistant, je commençais ma carrière et à cette époque très organiciste, on croyait qu’on pourrait guérir les schizophrènes grâce à l’élimination d’une substance par dialyse ; on en est revenu depuis. J’avais été accroché par une publication médicale qui montrait qu’on pourrait guérir les schizophrènes si on les lavait d’une bêta endorphine qui provoquait leur maladie. J’ai donc décidé de faire une étude contre placebo. Le patient passait le bras à travers un paravent et on lui plaçait un shunt artériel pour le dialyser, puis on allumait ou non l’appareil. C’était à Lyon. Les néphrologues se bousculaient pour voir le « fou de service ». J’avais choisi des patients très chroniques qui n’avaient pas été vus par un médecin depuis longtemps. Certains schizophrènes, après cette expérience, ont vécu une véritable renaissance et sont même ressortis pour de longues périodes de l’hôpital. Mais le procédé marcha aussi bien avec les dialyses placebo qu’avec les dialyses actives. Au départ, j’y ai cru et je pense qu’à l’époque, j’ai dû à mon insu, dans mon enthousiasme de jeune chercheur, me comporter comme un véritable gourou. Heureusement, j’ai pris la précaution du placebo, parce que si je ne l’avais pas fait, je crois que j’aurais pu prétendre urbi et orbi que j’avais trouvé le traitement miracle de la schizophrénie. Si je n’avais pas eu cette conscience, cela aurait pu être dangereux. Mais y a t-il pour autant des critères objectifs pour dire que le médecin a de la conscience ou non ? A mon avis : non. Mais il y a des mécanismes de régulation comme ceux opérés par l’Ordre des médecins, l’Université, les pharmaciens, les confrères, permettant de limiter les risques. Et surtout, de nos jours, les associations d’usagers qui sont devenus des partenaires à part entière. Dieu merci !
Les indices peuvent être les montants des honoraires, le temps de consultation et les discours tenus.
Cependant, pour éviter tout excès d’optimisme, je me souviens à Lyon d’un ophtalmologue qui était vraiment dans une dérive thérapeutique, à la limite du fanatisme sectaire. Quand quelqu’un avait un ptosis (paupières trop lourdes), il lui faisait par exemple des injections d’extraits de paupières animales. Un autre faisait de l’organothérapie. Par exemple, il prescrivait des extraits de vulves de truies aux femmes ménopausées. Ces médecins ont fonctionné ainsi pendant toute leur carrière ; ils sont maintenant à la retraite avec tous les honneurs, alors que leurs traitements étaient complètement bidons, voire dangereux. Il n’y a pas eu de régulation. Le diplôme n’est pas toujours une régulation suffisante, même s’il donne certaines garanties par ailleurs. C’est aux malades, au public, aux associations comme le GEMPPI de suppléer à certaines carences en recherchant les indices. Cette charte du GEMPPI devrait donc pouvoir concourir à révéler ces indices de dérives para sectaires, d’autant qu’il existera toujours des médecins s’imaginant avoir trouvé le Saint Graal.
Bibliographie du Pr Patrick Lemoine se rapportant spécialement au thème:
– LEMOINE Patrick. Le mystère du placebo. Éditions Odile JACOB, Paris. 1996.
Prix spécial du jury des Psys d’or 1996. Prix littéraire du MEDEC (mention spéciale) 1997. Traduit en Portugais, en Italien, en Japonais, en Coréen et en Roumain.
Prix spécial du jury des Psys d’or 1996. Prix littéraire du MEDEC (mention spéciale) 1997. Traduit en Portugais, en Italien, en Japonais, en Coréen et en Roumain.
-LEMOINE Patrick. L’enfer de la médecine est pavé de bonnes intentions. Éditions Robert Laffont. Paris (2005).
– LEMOINE Patrick. François Lupu. Quiproquos sur ordonnance. Ed. Armand Colin 2006
– LEMOINE Patrick. François Lupu. Quiproquos sur ordonnance. Ed. Armand Colin 2006
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